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devant, derrière et de côté, entortillés de rubans à mitrailleuses... , vrais représentants de l’autorité des Soviets.

Le plus âgé d’entre eux, un certain Isvoshtchikoff (ce n’était pas son nom ; il était juif, et avait été garçon dans un club à Tchernigov), s’adressant au maître de la maison, lui déclara avoir l’ordre de faire une visite domiciliaire chez lui.) Comprenant que ce n’était là qu’un prétexte, je me levai et m’approchant d’Isvoshtchikoff, je lui dis :

— Vous n’avez aucun ordre de ce genre. Mes hôtes ne sont pas des « bourjouïs, » ni des propriétaires fonciers, ni aucuns de ceux qui « boivent le sang du peuple. » Ce sont des gens chez qui vous ne faites généralement pas de visites domiciliaires. C’est moi que vous cherchez. Je vous déclare que je suis la princesse Kourakine. Vous pouvez m’arrêter si vous le voulez.

Il sourit, d’un sourire impudent et effronté, et avoua qu’en effet ils étaient venus pour m’arrêter.

— Puisque vous vous rendez à discrétion, il est probable qu’on vous en tiendra compte par un adoucissement de votre peine (le lecteur verra plus loin que ma « peine » ne fut en aucune sorte « adoucie. »)

Pendant que je faisais mes préparatifs de départ, je leur offris une tasse de thé ; ils s’assirent à la table, se renversant dans leurs chaises et jouissant évidemment de la pensée qu’ils m’avaient enfin dans leurs griffes.

— Savez-vous que vous êtes une acquisition très précieuse pour nous, tovarishtch (camarade) Kourakine ? me dit Isvoshtchikoff.

— Je n’en doute pas, lui répondis-je, mais sachez bien que je ne suis pas une « camarade » pour vous, car vous me haïssez et moi je vous méprise.

Ces vauriens avalent tout ce qu’on leur dit à la face. Pas un d’entre eux ne pouvait soutenir mon regard, ni me regarder droit dans les yeux.

L’automobile qui attendait à la porte, nous mena à fond de train à la « Vsséukrainskaïa Tchrézvytchaïka. » Comme nous montions l’Institutskaïa, j’aperçus un monsieur qui m’avait été présenté par mon mari, et que j’avais rencontré deux ou trois fois tout au plus. Il eut la malencontreuse idée de me saluer.

— Qui est celui-ci ? me demanda Isvoshtchikoff.

— Je vous assure que j’ignore son nom, répondis-je,