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étaient composées de la racaille ukrainienne, — adolescents de seize dix-sept ans, voleurs et bandits, — et d’un petit nombre de troupes régulières venant de Galicie. Il n’hésita pas à les lancer contre Skoropadsky. Les Allemands n’avaient pas encore abandonné l’Ukraine, mais ils restèrent strictement neutres, se conformant aux prescriptions des Alliés. La majorité des troupes de l’hetman passa du côté de Petlioura : celui-ci, en effet, était très populaire parmi les paysans à cette époque, — son mot d’ordre étant à peu de chose près celui des bolchévistes : la terre et tous les biens des propriétaires fonciers, ainsi que les fabriques, — tout fut promis aux paysans. Les troupes de Petlioura atteignirent Kiev sans presque rencontrer de résistance.

Les vrais patriotes russes avaient toujours envisagé l’hetman comme un ambitieux, un fantoche, — créature et protégé des Allemands. Personne de nous, à Kiev, ne se considérait comme « sujet ukrainien. » Mais notre situation était désespérée, et il ne nous restait qu’à nous ranger de son côté. Il était clair que la défaite du général Skoropadsky, et la victoire de Petlioura, ne présageaient rien de bon ; et il était également clair que Petlioura, avec ses bandes indisciplinées, composées d’éléments bolchévistes, ne demeurerait que peu de temps à Kiev, et serait balayé, à son tour, par les hordes des tyrans et des meurtriers bolchévistes.

A peine Petlioura eut-il entrepris son offensive sur Kiev, que tous les officiers de l’armée russe se levèrent pour la défense de la ville-mère, ancienne capitale de la Russie. Mais, hâtivement organisés en « régiments » et en « compagnies, » ils n’étaient qu’une poignée de héros en comparaison des forces de Petlioura, soutenu par toute la population de l’Ukraine. Mon mari venait de quitter Kiev pour aller à Odessa, et de là secrètement, en Roumanie, pour négocier avec les autorités françaises, qui se rendaient mal compte de la situation tragique en Ukraine. Il les avait suppliées de remplacer les troupes allemandes par les troupes des Alliés, prévoyant que Petlioura marcherait contre l’hetman, ouvrant ainsi la porte aux bolchévistes. Tout arriva comme il l’avait prévu et prédit : mon mari se trouva entièrement coupé de Kiev, et je ne le revis qu’à peu près trois ans plus tard, après ma fuite de la Sovdépie, en juillet 1921.

La défense de Kiev dura trois semaines, — défense héroïque