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qui, comme s’ils n’avaient jamais péché, osent lui jeter la première pierre.

Son nom restera attaché à quelques-unes des plus grandes choses de l’histoire du monde, et même en France, son règne fera époque, et devra servir, à quelques égards, de leçon aux politiques de l’avenir. En somme, il pécha surtout par faiblesse, et pour avoir subordonné son instinct, qui était presque toujours juste et profond, à d’étroites et funestes suggestions.

Qui pourra, mieux que Votre Altesse, dire ce qu’il y eut de grand au point de vue moral dans son attitude, si indignement calomniée, aux jours néfastes qui précédèrent Sedan ? Il y a là des vérités que Votre Altesse doit à l’histoire, et que seule elle peut révéler ; car elle fut étrangère aux fautes qui amenèrent ces cruels malheurs.

Puisse l’élévation d’esprit et de cœur, qui est en Votre Altesse, l’inspirer en ces jours difficiles, et lui dicter la conduite la meilleure pour les intérêts de notre malheureux pays ! Ses conseils vont avoir une importance majeure, et Elle est trop au-dessus des ambitions vulgaires, pour ne pas demander uniquement ses inspirations au patriotisme le plus pur et au désir le plus désintéressé du bien général.

Je prie Votre Altesse d’agréer l’expression du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être

Son affectueux et dévoué

E. RENAN.


A Ernest Renan


Londres, Claridge’s Hôtel, 1er février 1873.

Mon cher monsieur Renan,

Dans ma profonde douleur, j’ai éprouvé une grande consolation à recevoir votre lettre et l’expression de votre sympathie pour l’illustre mort. J’ai beaucoup souffert de cette perte, et un de mes plus grands chagrins a été d’être si vite rappelé aux misères humaines par ce qui s’est passé sur le tombeau à peine sous terre [1]. Aussi, profondément dégoûté, je quitte Londres, et vais à Prangins et en Italie, décidé à m’éloigner, au moins momentanément, de toute politique active, me réfugiant dans l’étude, et tâchant de m’y absorber.

  1. Le prince Napoléon s’était, à Chistehurst même, trouvé en opposition avec l’impératrice Eugénie au sujet des volontés suprêmes de l’Empereur.