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bon sens que ceux qui le gouvernent. Il commence à s’habituer à l’instable, il vit avec son mal de mer. Il est évident qu’un grand changement s’est opéré depuis 1848. L’immense majorité du pays, à cette époque, avait la foi monarchique ; cette foi s’est affaiblie. Le pays n’aura plus la force de faire par lui-même une restauration monarchique. Certes, si cette restauration se fait, il y applaudira ; mais il fournira peu de vapeur pour la faire. La France est à prendre, mais elle ne se donnera plus. Comme pour le moment, on ne lui demande qu’une chose qui n’exige pas grand effort moral : payer — (chose qui est pour lui la plus facile, vu ses immenses économies), il paiera, créera même la quantité d’ordre matériel sans laquelle la vie n’est pas possible ; mais, quant aux vraies réformes, à celles qui referaient une nation, une hiérarchie sociale, une armée, une instruction publique, un enseignement moral et religieux, nous en sommes plus loin que jamais. Est-ce que Votre Altesse ne songerait pas à publier, sur la situation, les vues lumineuses qu’elle possède, et qui viennent d’une connaissance si profonde de son siècle ? Ou, mieux encore, que ne travaille-t-elle à ces Mémoires qu’Elle doit à l’histoire de son temps, et où tant d’énigmes seront éclaircies ?

La question de la succession de Pie IX posera le problème de la papauté dans toute sa gravité. Il est clair que les conclaves à l’ancienne manière, avec leurs petites intrigues, leurs allées et venues de courriers d’ambassade et de cardinaux protecteurs, sont impossibles. La papauté est devenue une sorte de lamaïsme ; la succession tend à se faire par une sorte de cooptation ou de désignation du prédécesseur. Dans l’état actuel de la conscience catholique, le pape qui aura cette désignation de l’Infaillible décédé, sera le vrai pape pour la grande majorité ; mais les schismes auront là une porte toute ouverte. Je crois bien, en effet, comme Votre Altesse me le disait dans sa dernière lettre, qu’à la prochaine vacance, l’anti-pape italo-allemand, en supposant qu’on réussit à le créer, n’aurait pas grand succès dans la catholicité, dominée qu’elle sera par l’ascendant extraordinaire de Pie IX mort ; mais qu’au bout de quelque temps, l’unité catholique soit tout à fait compromise à ce jeu-là c’est ce sur quoi je n’ai aucun doute. L’unité catholique supposait le pouvoir temporel ; le pouvoir temporel disparu, l’unité catholique disparaîtra. Les Italiens sont naïfs de croire qu’ils garderont la papauté