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et les Détroits. C’est l’échec de ce plan que M. Lloyd George et ses amis voudraient nous imputer quand ils ne devraient l’attribuer qu’à leurs propres fautes ; l’opinion anglaise ne s’y est pas trompée ; elle charge de leurs responsabilités M. Lloyd George et son Gouvernement ; c’est sur cet écueil qu’est venue s’échouer la fortune politique du grand politicien gallois. Écoutons M. Garvin, qui, dans son Observer, fut si longtemps l’appui le plus ferme du Premier Ministre et, disait-on même, son inspirateur : « Les intérêts légitimes (c’est nous qui soulignons) britanniques dans les Détroits sont limités par ceux de la Turquie et des autres nations. Que cela nous plaise ou non, c’est un fait que le Gouvernement britannique doit se rappeler, en vue de la Conférence du Proche-Orient. D’autre part, un arrangement avec la France constitue la question la plus urgente de notre politique extérieure. Il faut rétablir non-seulement une coopération pratique, mais une loyale concorde entre les deux pays, ou bien il se produira une hostilité déclarée. Nous pouvons faire davantage pour la reconstruction de l’Europe en travaillant avec et par la France. » Échec en Orient, rapprochement avec la France : les deux termes sont liés. Au point de vue de la politique extérieure, c’est tout le sens de la crise politique qui a renversé M. Lloyd George.

La question des Détroits a, depuis plus d’un siècle, tenu une très grande place dans la politique britannique ; or, la question des Détroits, c’est Constantinople, c’est toute l’histoire de la rivalité anglo-russe ; sous les controverses juridiques du mare clausum et du mare liberum, il y a toujours eu des intérêts politiques très précis et très âpres. Pour s’assurer le libre passage des Détroits, la Russie a cherché tantôt à exercer sur la Turquie tout entière une sorte de protectorat (comme au temps du traité d’Unkiar-Skélessi, 1833), tantôt à la démembrer. Le Gouvernement du Tsar a cru toucher au but par les accords de 1915. Par l’une ou l’autre des deux méthodes, il s’agit, pour la Russie, de sortir de cette prison de la Mer-Noire où l’Angleterre prétend l’enfermer. Quand la Russie exerce en Turquie une influence prépondérante, c’est l’Angleterre qui demande l’ouverture des Détroits ; quand la Russie est faible, c’est elle au contraire qui réclame la liberté des Détroits et c’est l’Angleterre qui la lui refuse ; ce fut le cas notamment de 1856 à 1871. La Russie, — il est bon de s’en souvenir, — fil payer à la France, en 1871, la faute de s’être associée, en 1855, à la Grande-Bretagne pour l’enfermer dans la Mer-Noire et lui interdire d’y faire flotter son pavillon de guerre. Entre la Turquie, et la Russie, en 1914, c’est la question des Détroits qui est