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la cessation des hostilités, mais nous étions obligés de débarrasser notre territoire de nos ennemis jusqu’à ses frontières naturelles. Notre Gouvernement n’a pas l’intention de verser le sang pour la réalisation de ses projets s’il peut en obtenir la réalisation par la paix. Par conséquent, si l’ennemi se retirait au delà de nos frontières de 1914, nous n’avions plus besoin de continuer les hostilités. Quant à la question des Détroits, c’est nous qui avions été les premiers à demander leur liberté. C’est d’après ces considérations que nous avons accepté la réunion de la Conférence de Moudania. » S’il fallait un témoignage anglais, nous aurions, entre autres, celui du général Townshend dans la Pall Mall Gazette du 21 : « Si nous n’avons pas été entraînés dans une terrible guerre, nous le devons à la sagesse de M. Poincaré et de nos représentants dans les Détroits. » La paix n’a été possible que par la décision prise à Paris, le 23 septembre, par les Alliés de reconnaître aux Turcs la possession de la Thrace jusqu’à la Maritza ; elle a été facilitée par l’intervention amicale des Français qui ont inspiré confiance aux Turcs et ont obtenu d’eux le respect de la zone neutre et la signature de l’armistice. M. Lloyd George a célébré sa « politique d’Orient qui a amené la paix en Europe ; » il a voulu monter au Capitole, mais il a trouvé la Roche Tarpéienne.

Des discours de M. Chamberlain, le 13 octobre, et de M. Lloyd George, le 14, il ressort que la politique britannique en Orient a poursuivi deux desseins. D’abord un objectif général : les Turcs ayant fait la guerre, sans aucune nécessité ni provocation, à l’Angleterre, à la France et à la Russie, s’étant mis, corps et âmes, au service de l’Allemagne, et ayant proftlé de la guerre pour se livrer à d’affreux massacres sur leurs propres sujets chrétiens, devaient subir les conséquences de leurs fautes ; la paix ne leur laisserait donc que l’Anatolie sous le contrôle des Puissances victorieuses. Cette politique, nous l’avons montré ici, n’a échoué que par la catastrophe de la Russie, la carence des États-Unis et surtout par les fautes de la politique britannique et, en particulier, par le caractère antifrançais qu’elle a pris dès l’armistice. C’est cette politique qui a suscité le nationalisme turc et soulevé Moustapha Kemal ; c’est elle aussi qui a rendu nécessaires les accords d’Angora que M. Chamberlain et M. Lloyd George nous reprochent encore avec tant d’acrimonie. M. Lloyd George a même, à ce propos, fait une découverte ; il a parlé de « la défaite française en Cilicie ; » on ne peut qu’admirer la fécondité de son imagination.