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l’opérette ; et il faut avouer qu’il y est mieux à sa place que dans une œuvre poussée au grave et même au lyrique.

Mme Simone anime d’une vie intense le rôle de Judith : elle y prodigue les ressources de son talent si personnel et y dépense une force nerveuse vraiment extraordinaire. M. Grétillat est un Holopherne trop conventionnel. M. Alcover s’est fait justement remarquer dans le rôle de l’eunuque. Et Mme France Ellys a remporté, dans le rôle de la bonne Ada, un grand succès très mérité.


La Dent rouge n’est pas une bonne pièce. Cela se passe en pays de montagne. Une jeune fille, dont le père s’est enrichi, s’éprend d’un fameux chasseur de chamois et l’épouse. Les pires déceptions l’attendent dans la famille de grossiers paysans où l’a conduite sa mauvaise étoile. Haïe de sa belle-mère, battue par son mari, traitée par tous de sorcière, elle serait lynchée, si le curé de l’endroit ne la protégeait contre ces brutes. Il faut dire qu’elle a été, sans le vouloir, funeste à son mari. Désaccoutumé par elle de son périlleux métier d’alpiniste, il se tue dans l’ascension de la Dent Rouge. Il y a dans cette pièce touffue, une innocente, une veillée de Noël, une rixe et une mort en scène. Le tout dans le noir. Ce n’est pas seulement la salle, c’est la scène qui est plongée dans une obscurité où on ne voit, — et on n’entend, — goutte.


La place me manque pour parler du Chevalier de Colomb que vient de nous donner la Comédie-Française. Mais je ne veux pas attendre à la prochaine chronique pour dire tout le plaisir que j’ai pris à cette belle représentation. Un premier acte remarquable par le mouvement et la couleur, un drame aux lignes simples, des récits enflammés, celui du conquistador au premier acte, celui, au troisième acte, du capitaine d’infanterie qui nous émeut en nous faisant songer à nos poilus et à leurs officiers, une langue poétique ferme et souple, où éclatent des vers d’une heureuse venue : toutes les qualités du poète et de l’auteur dramatique se retrouvent, mais singulièrement élargies et mûries, dans cette pièce frémissante et de grande allure, où M. François Porche est bien près d’avoir réalisé sa noble conception du drame en vers.


RENÉ DOUMIC.