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Judith, enthousiasmée, tombe dans les bras d’Holopherne, ou, pour mieux dire, elle s’y jette avec une impudeur qui est tout à fait dans la tonalité générale de la pièce.

Hélas ! il faut que la fatalité s’en soit mêlée. Tandis qu’auprès d’elle Holopherne, satisfait, dort d’un bon sommeil, elle ne dort pas. Elle est envahie par cette tristesse dont parle un adage qui, dans son latin, brave l’honnêteté. Encore une déception ! Alors, par dégoût d’elle-même, elle tranche la tête de cet imbécile. Ah ! ceux qui, sur la foi de pieux annalistes, ont célébré l’acte libérateur de Judith, ont beaucoup à déchanter. De la boue et du sang, ce n’est pas même ce que J.-J. Weiss appelait un beau crime. Racine s’est moqué de ce financier qui pleurait sur Holopherne « si méchamment mis à mort par Judith. » Ce financier n’avait pas tout à fait tort, si c’est de cette Judith là qu’il venait.

De retour à Béthulie, Judith est célébrée comme l’héroïne de la patrie. Mais elle sait quelle pauvre héroïne elle a été et combien près de faillir à la mission qu’elle s’était donnée. L’acclamation populaire la trouve indifférente et inquiète. Gloire ou amour, il semble qu’elle soit pareillement incapable d’en goûter la jouissance.

Aussi bien, depuis qu’elle a tué Holopherne, elle se remet à l’aimer. Vous souvenez-vous d’une charmante comparaison de l’Anthologie ? Pour exprimer l’âme agitée de Médée, le poète Apollonius la compare au reflet d’une étoile dans l’eau fraîchement versée d’un vase. Ainsi Judith ballottée de la haine au désir, du désir à la rancune, de la rancune au regret, et maintenant éperdue d’amour posthume. Nous la verrons passer sur le cadavre d’un jeune guerrier qui s’est tué pour elle, et, dans les éclairs de la tempête, gravir la colline douloureuse vers le poteau où a été clouée la tête d’Holopherne. Horreur ! Déjà les corbeaux ont fait leur sinistre besogne. Rien ne manque au macabre de cette vision qui évoque fâcheusement l’image du Golgotha.

M. Bernstein a-t-il voulu mettre à la scène un de ces drames qui se déroulent en cours d’assises, — une femme qui a tué son amant, — et a-t-il jugé, avec raison d’ailleurs, qu’il convenait d’en revêtir la touche horreur d’un costume vaguement antique et d’une archéologie sans prétentions ? A-t-il voulu donner d’une aventure consacrée par l’admiration des siècles une version réaliste ? S’est-il plu à faire de la femme forte de l’Écriture le type de l’inconstante et de l’impuissante ? Le procédé est connu. C’est celui qui fait d’Hercule un timide et de Pénélope une cascadeuse. Il sert ordinairement pour la parodie et