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« le roman du paysage belge. » Le Vent dans les moulins « évoque la Flandre agricole ; » Comme va le Ruisseau est une « gracieuse idylle toute parfumée de la senteur des bois ardennais ; » le Petit homme de Dieu, le « poème de la Flandre mystique » ; et veuillez lire Au Cœur frais de la forêt : ce roman de nature vivante et frissonnante, plein d’air et de grand air, plein d’une poésie où se mêlent l’odeur des arbres, le bruit des feuilles, la solitude, la lumière et les émois de la sensibilité, ne vous rappellera aucun roman de nos réalistes. Camille Lemonnier, vers la fin de sa vie, écrivait : « Je ne me suis jamais séparé des choses et des hommes qui m’entouraient. J’ai eu la passion de la vie, de toute la vie mentale et physique. Si elle fut pour moi la cause d’erreurs nombreuses, elle fut aussi l’aboutissement des puissances de mon être et me valut des joies infinies. Peut-être, avec un goût mieux calculé, aurais-je pu atteindre à des attitudes que je n’ai fait qu’entrevoir. J’ai le sentiment d’avoir été un homme, un simple homme de travail, de lutte et d’instincts, plus encore qu’un homme de lettres au sens exclusif du mot. J’ai vécu surtout avec ténacité la vie des gens de mon pays. » L’œuvre de Camille Lemonnier n’est pas toute admirable, mais fort belle souvent, et elle a toute ce caractère qu’il indique : elle est de son pays et flamande.

Il semble que, pour affirmer leur qualité belge, la plupart des romanciers qui ont été les amis, les émules de Lemonnier, ceux d’aujourd’hui comme ceux d’hier, aient un grand soin de peindre le pays de leur naissance et de donner ainsi à leurs ouvrages une couleur de chez eux. Une couleur : car ils sont peintres ; c’est une remarque très juste de M. Albert Heumann. Camille Lemonnier, le Verhaeren des Flamandes, Georges Eekhoud, Eugène Demolder « brossent à larges coups de pinceau des fresques lumineuses, exubérantes de vie païenne, qui rappellent les somptueuses décorations de Rubens, les beuveries de Jordaens, les kermesses de Teniers, toujours la vie plantureuse et sensuelle. » D’autres, des conteurs tels que M. Louis Delattre et M. Maurice des Ombiaux, deux Wallons, peignent d’une autre sorte, à petites touches délicates, et avec ces nuances fines que l’on aime dans les menus tableaux de vie intime. L’art de M. Albert Giraud, poète parnassien, M. Albert Heumann le compare à celui de Van Dyck ; et l’art de Georges Rodenbach et de Van Lerberghe, à celui de Memling. Je ne dis pas que ces comparaisons ne soient un peu arbitraires. Mais M. Albert Heumann conclut et, cette fois, sans qu’il y ait à le contredire aucunement : « Tous ces écrivains sont d’abord, des coloristes. C’est à la couleur qu’ils s’attachent ; plutôt