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sont nationales. » C’est l’opinion de M. Dumont-Wilden, et qui ne me semble ni exactement juste ni absolument fausse.

Il n’y avait pas de littérature belge. Voici de jeunes écrivains qui ont le projet de créer une littérature belge : croit-on qu’ils vont y réussir du jour au lendemain ? Et, parce que ces jeunes écrivains ne réussissent pas sans retard à créer une littérature belge, faut-il douter de leur intention ? Leur réussite, fût-elle un peu lente, m’étonne plus que sa lenteur.

En littérature, ailleurs aussi, l’on n’improvise rien. Il y a, dans l’invention même, de la continuité. Or, ces jeunes Belges de 1880, qu’avaient-ils à continuer, dans leur pays ? L’auteur de la Sainte Eulalie, Froissart, Commines, Jean Lemaire de Belges ? Non ! Decoster ou Pirmez ? Non : si intéressante que soit l’œuvre de ce Flamand, l’œuvre de ce Wallon, ce n’est pourtant pas de là que va naître une littérature, comme on dit que la littérature grecque naquit des poèmes d’Homère !

Les jeunes Belges de 1880 se sont trouvés dans la situation la plus incommode : ils ne continuaient, chez eux, personne.

Qu’ont-ils fait ? Ce qu’ils avaient de mieux à faire ; et ce qu’ils ne pouvaient pas éviter de faire : écrivains de langue française, ils se sont adressés à la littérature française.

Et ils ont eu confiance que leur volonté d’être eux-mêmes, de rester malgré tout des écrivains belges n’aurait point à souffrir de cette obligation qu’ils acceptaient sans la redouter, cette obligation de continuer une littérature existante et florissante auprès d’eux. Voilà si je ne me trompe, la véritable signification de leur entreprise intelligente.

Est-ce que leur confiance a été trompée ? Mais non.

Un Camille Lemonnier n’est-il pas un écrivain belge ? Et cependant, il a subi, dans sa jeunesse, et plus qu’un autre, l’influence des romanciers de Paris. L’un de ses romans les plus célèbres, et qu’on a vilipendé, qu’on a vanté aussi, Happe-chair, a bien de l’analogie avec le Germinal de Zola. Germinal est de 1885 ; Happe-chair, de l’année suivante. Il est probable que Lemonnier tenait le sujet de son livre, l’avait conçu, l’avait esquissé pour le moins, avant de lire Germinal. Mais Germinal n’est pas le premier roman qui révèle la manière de Zola ; et Lemonnier parait évidemment l’élève de Zola et de nos réalistes. N’est-il que cela ? Plus tard, et sans effort, par le seul épanouissement de sa pensée et de son art, il se dégage de cette première tutelle. Ses meilleurs ouvrages composent, comme le dit M. Dumont-Wilden,