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mêmes Belges cultivaient d’autres arts de la plus belle manière et, dans la peinture, atteignaient à la splendeur. Et c’est pourtant un fait.

Alors, on le voit, cette continuité d’une littérature belge, qu’on cherche et qui aboutirait à la littérature actuelle de Belgique, cette continuité est rompue. Les écrivains contemporains de Belgique ne dérivent pas des écrivains belges du Moyen-âge, ni du Renart, ni de Froissart, ni de Commines, et ni de Jean Lemaire qui eut certainement une influence plus visible sur notre Marot que sur Emile Verhaeren ou M. Maeterlinck.

La littérature française de Belgique date du XIXe siècle, et de la fin du XIXe siècle.

Avant 1880, remarque M. Dumont-Wilden, personne, en Belgique même, ne s’avisa de parler d’une littérature belge.

Deux écrivains pourtant sont à signaler, deux précurseurs, dans la période qui mène aux abords de 1880, Charles Decoster et Octave Pirmez, l’un Flamand, l’autre Wallon, tous deux extrêmement caractérisés.

Decoster est fameux pour sa Légende de Thyl Uylenspiegel et de Lamme Goedzak, un livre étonnant, une espèce d’épopée de la Flandre. Son Thyl, un personnage de vieilles anecdotes populaires : un vaurien, vagabond, joyeux drille, « de la race des Panurge et des Arlequin, » dit M. Gauchez ; oui, mais un Panurge ou un Arlequin de Flandre. Ses aventures se déroulent dans ce pays plantureux ; ses aventures sont énormes ; parmi des ripailles, des goinfreries, des soûleries que les kermesses des anciens peintres flamands illustrent à merveille. « Voir le peuple, disait Decoster, le peuple surtout. La bourgeoisie est partout la même. Va pour le peuple ! » Et sa Légende de Thyl Uylenspiegel est peuple admirablement, d’une exubérance et d’une richesse de vie, d’un entrain qui va de la jovialité naïve à l’héroïsme. Decoster écrit un français joli et simple ; et, puisqu’il est regardé comme le premier écrivain belge de langue française, dans la chronologie, on voit, dès ce commencement de la littérature belge, la facilité avec laquelle l’esprit de Belgique s’accommode bien du français, lui donne sa couleur et le tourne à sa guise, sans l’offenser non plus.

Pirmez est tout différent de son émule Decoster. Il a beaucoup plus de recueillement, de vie intérieure et de rêverie. Decoster ne demeure pas en lui-même ; il est dehors, au gré d’une imagination turbulente. Pirmez, lui, se retire et songe. Il aime infiniment les paysages, mais pour les trouver en bel accord avec sa pensée, faite de