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ont séparées du vieux tronc français », un goût des livres et une aptitude littéraire indiscutables. M. Dumont-Wilden ajoute : « Mais peut-on les considérer comme les ancêtres d’une littérature spécifiquement belge ? A l’époque où ils écrivaient, personne n’avait de la nationalité la conception que nous avons aujourd’hui... Quant à une nationalité belge, on ne pouvait même pas l’entrevoir dans les limbes. Aussi la logique et le bon sens sont-ils d’accord avec la tradition pour placer Froissart, Commines et Jean Lemaire exclusivement dans l’histoire de la littérature française à la formation de laquelle ils ont collaboré. » C’est la vérité même, formulée par un Belge, qui d’ailleurs a le bel et juste orgueil de son pays.

Posons bien cette vérité, qui va nous servir à caractériser la littérature française de Belgique, littérature toute récente.

Si l’on s’obstinait au vain ouvrage de rattacher la présente littérature belge aux écrivains français de race ou flamande ou wallone qui ont flori pendant le Moyen-âge, si l’on cherchait à établir une continuité belge depuis le Moyen-âge et depuis la Cantilène de sainte Eulalie jusqu’à nos jours, on n’éviterait pas de rencontrer la difficulté que voici : la continuité qu’on cherche n’existe pas. M. Maurice Gauchez trouve encore des écrivains belges au XVIe siècle. : un Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, singulier pamphlétaire, né à Bruxelles, loué par Quinet d’avoir ajouté des mots heureux et pittoresques à l’idiome de Gargantua, mots qu’il empruntait au vif et joyeux peuple de Flandre ; un Robert III de La Marck, sire de Fleuranges, compagnon d’enfance de François Ier et qui, en 1525, prisonnier au château de l’Écluse, « pour passer son temps plus légèrement que n’être oiseux, » écrit ses Mémoires. Mais le XVIIe et le XVIIIe siècle belges, au dire de M. Gauchez, sont « pauvres » et à peu près nuls. Certes, il y a bien, au XVIIIe siècle, le prince de Ligne. Il est né à Bruxelles ; il fait honneur à son pays natal. Le comptera-t-on comme un écrivain belge ? M Dumont-Wilden répond : « Ce grand seigneur cosmopolite, qui se disait lui-même Français en Autriche, Autrichien en France, l’un ou l’autre en Russie, fut le représentant accompli de l’Europe française au XVIIIe siècle. Que la jeune Belgique littéraire, en quête d’ancêtres, s’enorgueillisse de son œuvre illustre et charmante, rien de mieux : ce n’est cependant rien moins qu’un écrivain national. » Pourquoi les Belges de langue française n’ont rien, ou quasi rien donné à la littérature aux siècles où la littérature française était le plus magnifiquement florissante, c’est là un fait assez difficile sans doute à expliquer, si l’on note qu’en même temps ces