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un ouvrage très attentif, auquel M. Camille Jullian donnait une préface très importante.

L’historien de l’ancienne Gaule protestait contre une opinion fausse, selon laquelle la Belgique serait une « création artificielle, » l’œuvre des diplomates, le nom donné à un territoire sur la possession de quoi les grandes nations voisines et rivales ne s’entendaient pas. Il montrait que « la nature ou la vie de la terre » justifiait l’existence d’une Belgique, « terre bien délimitée qui est faite pour vivre d’elle-même et par elle-même. » Il montrait que cette Belgique a « ses originalités » plus marquées et plus évidentes que d’autres pays dont l’existence individuelle n’est pas contestée. Il écrivait : « Le bilinguisme de la Belgique ne l’empêche pas d’être une nation, individuelle et originale. Ce qui fait l’originalité d’un peuple, c’est la façon dont il travaille avec les éléments divers que la race ou la langue lui apportent. Il est à lui-même son Prométhée, suivant le mot étincelant et juste de Michelet. Or, il n’y a pas en ce moment dans l’Europe de peuple qui, au même degré que la Belgique, travaille à la fois son âme et sa terre, qui vive davantage de l’école, du foyer et de la forge. Laissez-le faire quelques années encore et il sortira de là l’individualité nationale la plus intéressante, la plus sympathique qu’on puisse voir. » Cela était écrit à la veille de la guerre. M. Camille Jullian traitait de misérable ou de fou quiconque aurait l’idée de supprimer la Belgique et posait ce principe : « Nul n’a le droit de toucher aux nations qui tiennent à vivre. » Survint la guerre : l’Allemagne a prétendu nier l’individualité de la Belgique ; et celle-ci a rendu indiscutable cette vérité, qu’elle est une nation qui tient à vivre. Si l’on en doutait, on avait tort et l’on n’en doute plus.

Une nation qui tient à vivre n’a-t-elle pas sa littérature ? Et l’on dirait 'a priori' : comment n’aurait-elle pas sa littérature, qui atteste sa volonté de vivre et son entente d’une vie particulière ?

Elle pourrait ne pas l’avoir encore. Il faut du temps pour que se produise une littérature, chef-d’œuvre lentement élaboré d’une conscience nationale. Les provinces qui sont devenues la Belgique ont subi de rudes tribulations et d’une extraordinaire diversité, elles ont enduré toutes les dominations étrangères, elles ont essayé toutes les politiques, avant de se grouper et d’obtenir leur indépendance collective. La Belgique ne s’est constituée sous la forme de son autonomie qu’en 1830 ; et la véritable littérature belge n’a pas un demi-siècle d’existence.

Il est vrai que M. Maurice Gauchez en fait remonter les origines