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sans-gêne mit Alexéïeff hors de lui. Très doux de nature, il s’enflammait, parfois, d’une colère qu’il ne pouvait maîtriser, toujours pour ce qui se rapportait à son service, ou, mieux, à sa mission. Il ne put se contenir, se leva et quitta la réunion. Un léger refroidissement qu’il prit devait lui être funeste ; le 25 septembre (8 octobre), juste au moment où nous reçûmes la nouvelle que l’Allemagne, s’avouant vaincue, demandait la paix, il mourut.

Son fils, le capitaine Alexéïeff, m’a raconté qu’il lui lisait les derniers télégrammes arrivés, mais le général était déjà sans connaissance.

J’étais assis dans le grenier qui me servait de salle de rédaction, à Novotcherkassk, lorsqu’on me téléphona : « Un télégramme est arrivé d’Ekaterinodar pour vous : ordre de vous le communiquer immédiatement : le général Alexéïeff est mort cette nuit. » Ce fut pour moi un coup de massue. Je me rappelle que je chancelai et n’eus que le temps de m’asseoir. Nous étions loin de soupçonner que la maladie de notre général dût avoir un si prompt dénouement. Et puis, nous voutions espérer que Dieu sauverait notre grand « vieillard. »

Le commandant en chef, le général Denikine, lança cette belle proclamation :

« Aujourd’hui s’est terminée la vie pleine d’exploits, de souffrances et d’abnégation, du général Michel Vassilievitch Alexéïeff. Ses joies de famille, sa paix intérieure, tous les biens de sa vie privée, il les a offerts en sacrifice au service de la Patrie.

« Le dur joug du métier d’officier, un labeur continu, la vie de combat, la tâche, immense par sa responsabilité, de chef de toutes les forces armées de l’Empire russe pendant la grande guerre et la guerre volontaire, voilà son calvaire. Calvaire illuminé d’une honnêteté cristalline et d’un amour ardent de la Patrie.

« Lorsque l’armée disparut et qu’un péril menaça la Russie, il fut le premier à lancer l’appel aux officiers et aux soldats russes.

« Il donna ses dernières forces à sa création, l’Armée volontaire. Malgré les dures épreuves de notre terrible campagne, c’est avec l’espoir au cœur et une foi entière dans son œuvre, qu’il marchait avec elle, par le Chemin de la Croix, vers son but, le salut de la Patrie.