que nous appelions Bobby. Je ne connais pas d’homme qui, l’ayant rencontré, n’en ait emporté la meilleure et la plus charmante impression.
Autant Vera Engelgardt était grave et réservée, autant notre Bobby était exubérant et gai.
Étant cosaque lui-même, il fut affecté pendant quelque temps à un régiment cosaque ; mais il le quitta bientôt pour le glorieux régiment d’Akhtirsk, à la tête duquel il devait tomber. Pour tous ceux qui connaissent l’armée russe, l’union en un seul être d’un vrai cosaque et d’un vrai hussard semblera étrange. Et pourtant, Eroféev parvint à la réaliser.
Il était de taille moyenne, la figure ronde, non point beau, mais excessivement attrayant. Fait rare chez les cosaques, il était admirablement bien élevé et possédait ce sentiment inné de tact qui le faisait aimer de tous, du simple cosaque aux chefs les plus haut placés. Grand mangeur, grand buveur, il gardait toujours ses manières charmantes, son esprit, sa rayonnante gaieté. Ce jeune homme de vingt-cinq ans avait toute sorte de talents. Il faisait très bien les vers, les mettait en musique, jouait de la guitare et de la balalaïka, chantait agréablement, avait l’art de conter, des dons d’écrivain et de caricaturiste remarquables.
Si les Français se vantent de leur « guerre en dentelles, » nous pouvons nous vanter de la joyeuse guerre que fit Bob Eroféev.
En voici un souvenir. J’habitais à Rostov chez un Arménien de mes amis. Un matin de printemps, je fus réveillé par de grands coups donnés dans les volets. J’ouvris ma porte, de fort mauvaise grâce. Sur le palier, au garde-à-vous, se tenait Bobby, déclamant :
— Messieurs les officiers des régiments Akhtirsky, Bielogorodsky et Starodoubovsky (12e division du nom du général Kalédine) ont l’honneur de vous prier d’approcher de la fenêtre.
Il fit demi-tour, fit sonner ses éperons et s’esquiva.
Je m’en fus à la fenêtre et l’ouvris. Immédiatement, je reçus en pleine figure plusieurs branches d’acacia en fleur, humides de rosée. Ces messieurs, partant au front, en manière d’adieu à leurs amis, leur apportaient ces fleurs suaves qu’ils avaient coupées avec leurs épées. En notre temps, dur et sanglant, un journaliste pouvait-il recevoir un cadeau plus aimable que ces charmantes fleurs matinales ?