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dans toute leur force. » Ce n’est pas là une faute de nature à entraîner une pénalité. Dira-t-on que la suspension avait eu pour cause première une faute par moi commise en ma leçon d’ouverture ? Mais comment cette prétendue faute, qui, le 20 février 1862, amenait une suspension momentanée, a-t-elle pu, deux ans et demi après, justifier une destitution ? L’axiome : Non bis in idem, n’a jamais été plus complètement violé.

Ces motifs, tout graves qu’ils sont, n’auraient pas été suffisants pour me décider à soumettre cette affaire au jugement de Votre Excellence, s’il ne s’y mêlait des considérations d’un ordre supérieur.

Pour remplir la tâche principale à laquelle j’ai consacré ma vie, et qui est de contribuer selon mes forces à relever les études sémitiques anciennes de l’abaissement où, malgré d’honorables exceptions, elles sont restées en France depuis Richard Simon, l’enseignement du Collège de France m’a toujours paru nécessaire. Les livres ne suffisent pas au progrès de la science ; il y a une partie de l’enseignement qui ne se transmet que de vive voix et par le contact direct de l’élève et du professeur. Laissez-moi dire, monsieur le Ministre, qu’il est injuste que cette forme de l’activité scientifique me soit interdite. Sorti le premier du concours d’agrégation de philosophie en 1848, docteur es lettres depuis 1852, membre de l’Institut depuis 1856, honoré en 1861 de la présentation du Collège de France et de l’Institut, j’ai bien le droit de croire que ce n’est pas le manque de titres suffisants qu’on peut alléguer contre moi. Ce qu’on peut alléguer, c’est qu’un parti religieux considérable qui me tient pour un ennemi, s’oppose à ma réintégration. Eh bien : je ne puis croire que cette fausse appréciation dure encore. Voilà six ou huit ans que les faits qui ont provoqué contre moi l’opposition de certains groupes religieux sont des faits accomplis. Les surprises et les malentendus de la première heure sont passés. On a pu mieux juger mon caractère, mon but et ma méthode. Il n’y a que des personnes mal informées qui puissent croire que j’ai voulu détruire quoi que ce soit en un édifice social, selon moi, trop ébranlé. J’ai usé, au risque de me tromper, comme tout le monde, de la liberté de la raison et de la critique ; je n’ai jamais travaillé à l’affaiblissement d’un sentiment noble, ni d’une conviction élevée. La violence de mes adversaires ne m’a pas arraché un mot d’aigreur ; le droit de légitime réponse, je