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2° de me nommer à une fonction incompatible, d’après les règlements existants, avec l’enseignement. Convaincu de la noblesse hors ligne et de la particulière excellence du Collège de France, je répondis le lendemain à M. le Ministre que je me résignais à la perte de mon traitement, mais qu’il m’était impossible d’admettre qu’une chaire au Collège de Franco, obtenue sur la libre désignation de mes confrères et collègues, pût être échangée contre une haute fonction, si honorable qu’elle fût. Le 12 juin parut un décret ainsi conçu : « M. Renan demeure révoqué de ses fonctions au Collège de France. »

Cette révocation était évidemment irrégulière. Il est bien vrai que, par le décret du 6 mars 1852, le ministre de l’Instruction publique nomme et révoque tous les professeurs de l’enseignement supérieur. Mais le décret du 11 juillet 1863 a fixé les formes dans lesquelles une pareille révocation peut être prononcée. Ce dernier stipule des garanties, la comparution devant un tribunal, le droit pour l’inculpé de présenter sa défense de vive voix, ou par écrit. Aucune de ces formes ne fut observée à mon égard. On a dit, je le sais, que le décret du 11 juillet 1863 ne s’applique pas au Collège de France. Cela est insoutenable. Le décret du 11 juillet 1863 s’applique (ce sont les termes mêmes) à tout l’enseignement supérieur et secondaire. Or, le Collège de France fait partie de l’enseignement supérieur. Le Collège de France n’est pas compris dans ce qu’on appelle improprement l’Université ; mais il est évident qu’il est, comme le Muséum, l’Ecole des Chartes, etc., un établissement d’enseignement public. Nierait-on cette proposition, évidente par elle-même, j’alléguerais un texte sans réplique : c’est le décret du 9 mars 1852, qui range expressément le Collège de France dans le corps enseignant. A moins de soutenir que le Collège de France fait partie de l’enseignement primaire, il faut donc admettre que le décret du 11 juillet 1863 s’applique à lui.

Je vais plus loin, et je soutiens que, même en l’absence du décret du 11 juillet 1863, ma destitution aurait été irrégulière. Le décret du 9 mars 1852 appelle la révocation « une peine. » Or, une peine suppose « une faute. » Le décret du 12 juin, qui a déclaré que je « demeure destitué, » n’a allégué d’autre motif que le décret du 2 juin. Celui-ci ne me reprochait aucune faute. Il affirmait seulement que « depuis deux ans la chaire n’était point remplie par des raisons d’ordre public qui subsistaient