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mètres et demi de drap écarlate pour le manteau qu’il devait porter, lors du couronnement, dans le cortège où il figura à sa place.

Nous savons aussi que, vers 1602-1604, il habitait dans la même maison qu’un perruquier français de Silver Street, un nommé Christophe Montjoie, originaire de Crécy. Dans la famille de notre compatriote Shakspeare se trouva jouer un rôle assez curieux. Ce Montjoie avait une fille Marie, qui l’aidait dans son métier. Il employait aussi un autre Français répondant au nom de Stephen Bellot. Stephen était, semble-t-il, le type du bon apprenti et dame Montjoie se dit que ce pourrait être un parti acceptable pour sa fille en même temps qu’un successeur tout trouvé pour la maison. Mais comment ouvrir les yeux de Bellot ? On s’adressa au locataire, M. Shakspeare. Faisait-on fond sur son éloquence ou sur sa bonté ? Je ne sais, mais le trait prouve tout au moins qu’on voyait en lui un homme sûr et complaisant. On lui demanda d’être le porteur de propositions alléchantes : Marie et avec elle cinquante livres de dot ! « M. Shakspeare » accepta et fit comme les bons auteurs dramatiques qui finissent leurs pièces par un mariage : il décida Bellot à demander Marie.

Mais la comédie faillit tourner au drame. Le beau-père et le gendre se querellèrent, et huit ans plus tard, en 1612, Bellot mena Montjoie devant les tribunaux, réclamant la dot qui, prétendait-il, n’était pas encore payée. « M. Shakespeare de Stratford-on-Avon, gentleman, âgé de quarante-huit ans, » fut cité comme témoin. Et nous avons sa déposition. Il ne peut que répéter ce que d’autres avaient déjà affirmé : il était exact qu’il se fût entremis dans ce mariage. Mais son désir de rester neutre est évident et il se refuse à prendre parti. Il distribue des mots aimables de droite et de gauche ; pour le reste, il ne se souvient ni de l’importance de la dot, ni de la date à laquelle elle devait être payée. M. Shakspeare méritait certainement l’épithète de « gentil » que ses contemporains lui décernaient.

On place aussi vers l’année 1602 son aventure avec la belle hôtelière d’Oxford. Au cours de ses voyages entre Londres et Stratford, il fit, parait-il, la connaissance de la vive et spirituelle Mrs Davenant. Nous avons vu qu’il savait plaire aux femmes. Et en 1606 naquit William Davenant, le futur auteur dramatique, qui passait pour le filleul — ou le fils — de Shakspeare.