Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrit sur son lit de mort, laissa percer sa jalousie contre ceux qui l’avaient remplacé dans la faveur du public. Il attaqua surtout l’un d’eux, « un parvenu paré des plumes de ses prédécesseurs, » et qui,


Cachant un cœur de tigre dans la peau d’un acteur.


s’imagine être aussi capable de faire ronfler le vers blanc que le meilleur d’entre les écrivains. Or, le vers cité parodiait un vers d’Henri VI, et, afin que nul ne s’y trompât, Greene qualifia son ennemi « d’ébranle-scène — shake-scene — du pays, » faisant un transparent jeu de mot sur Shakes-peare. Le sens de cette diatribe est clair, bien qu’on feigne parfois de le discuter. Ce qui irritait cet envieux, c’était de voir un simple acteur, « un bouffon orné des couleurs » des autres, prétendre écrire des pièces tout comme les dramatistes d’éducation universitaire. C’est un texte bien gênant pour les anti-stratfordiens : aussi n’aiment-ils pas s’y attarder.

Cependant Shakspeare n’avait pas renoncé à son métier d’acteur. Nous savons qu’à la Noël de 1594 il joua deux fois devant la reine comme membre de la troupe du grand chambellan. C’était la plus fameuse des compagnies du temps et elle avait toujours été patronnée par de très puissants seigneurs. Elle avait d’abord appartenu au comte de Leicester ; en 1588, elle était passée au service de Lord Strange, comte de Derby : depuis 1594, elle était sous la protection du grand chambellan, Henry Carey, lord Hunsdon.

Prenant texte d’un décret royal qui énumère les historiens parmi les vagabonds, on va répétant que la situation de comédien, au XVIIe siècle, était méprisée. Mais il faut faire une distinction. Sans doute les troupes ambulantes, qui allaient de ville en ville, pouvaient souvent, à juste titre, être assimilées aux mauvais sujets qui infestaient les routes de la vieille Angleterre. Mais il n’en allait pas de même, — et le statut en question faisait soigneusement la différence, — des troupes « appartenant à quelque baron du royaume ou autre personnage honorable de rang plus élevé. » Celles-ci faisaient partie de la maison du gentilhomme dont elles portaient le nom. Et nous savons que certains acteurs, dans le Londres d’alors, jouaient volontiers au grand seigneur.

On pouvait voir, dit une satire de 1602, ceux qui « autrefois