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On pourrait réfuter les différentes théories simplement en les exposant les unes après les autres, dans l’ordre de leur apparition. Car les hypothèses se succèdent en se combattant. Chaque nouveau venu se sent pris d’un respect immense pour les efforts destructifs de ses prédécesseurs ; mais il se met aussitôt en devoir de culbuter l’argumentation qui supporte toute autre solution que la sienne. En sorte que ces frères ennemis sont les meilleurs auxiliaires des critiques « orthodoxes. » Quand on a fini de lire l’une quelconque de ces démonstrations, on est toujours persuadé que les explications antérieures sont inacceptables. Seule, la dernière demeure triomphante, sur des ruines. Pas pour longtemps d’ailleurs, car aussitôt surgit une nouvelle interprétation qui réduit celle-là en poudre.

Mais ce jeu deviendrait aisément fastidieux. Les arguments sont multiples autant que subtils. Ils ne peuvent, en général, être compris que de gens initiés aux problèmes épineux qui font de la critique élizabethaine le plus embrouillé des casse-tête chinois. Et ce serait un travail infini. Car chaque auteur ne tarit pas sur son sujet. M. Lefranc, pour sa part, a écrit six cent cinquante pages ; M. Looney, bien que plus bref, n’en a pas moins de cinq cent cinquante à son actif. Il ne saurait donc être question, dans les limites d’un article, d’entreprendre l’herculéenne besogne de chasser ces nuées de raisons. Aussi bien cela n’est-il pas nécessaire. Ces hypothèses, irréconciliables dans leurs constructions, s’apparentent l’une à l’autre dans leur partie destructive. Elles s’appuient toutes sur une réfutation préalable, — et indispensable, — de la croyance orthodoxe. Et leurs auteurs, pour anéantir ce que l’on appelle la « légende stratfordienne, » font tous usage du même genre de preuve. Il est donc possible de limiter son effort à ces préliminaires essentiels de toute démonstration, en réfutant la réfutation. C’est prendre le mal à la racine. Si l’on parvient à établir que le point de départ sur lequel tout repose est une pure illusion, une de ces erreurs qui parfois se jouent de notre esprit, il va de soi que toutes les déductions et conclusions tirées de ces fausses prémisses n’ont aucune valeur. Elles se disperseront aussitôt comme une de ces images aériennes qu’un coup de vent défait et emporte.

Toutes les théories formulées jusqu’ici s’appuient, en effet, sur une affirmation que l’on traite comme vérité évidente. Il