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SHAKSPEARE EST-IL SHAKSPEARE ?

L’Affaire Shakspeare n’est pas encore enterrée. Comme l’antique phénix, elle semble avoir la faculté de renaître indéfiniment de ses cendres. A peine quelque théorie retentissante s’est-elle apaisée qu’une autre « découverte » non moins sensationnelle fait rebondir la question. Aujourd’hui, c’est le Mercure de France qui publie, pour l’édification des lecteurs français, la toute dernière « preuve » que Shakspeare n’est pas Shakspeare [1]. Le colonel de l’armée américaine Fabyan, avec l’aide de Mmes E. W. Gallup et K. Wells, a, parait-il, réussi à composer une autobiographie que Francis Bacon aurait dissimulée par une méthode cryptographique dans son œuvre et, chose encore plus surprenante, dans les œuvres d’une demi-douzaine de ses contemporains. Cette histoire est le plus stupéfiant des romans-feuilletons. L’auteur du Novum Organum nous y révèle froidement qu’il est le fils légitime de la reine Elizabeth, le frère du comte d’Essex, qu’il fut épris et aimé de Marguerite de Valois, etc., etc., et, apportant une bien opportune confirmation des hypothèses patiemment et successivement échafaudées par les critiques dits baconiens, il revendique la composition d’une partie de l’œuvre de Peele, de Spenser, de Greene, de Marlowe et, naturellement, de Shakspeare : « J’ai caché de nombreux et graves secrets dans mes poèmes publiés tantôt sous les noms de Peele et de Spenser, tantôt sous mon propre nom, tantôt sous le nom d’autres auteurs qui ont soumis au public des ouvrages d’un caractère mixte, prose et poésie. A Robert Greene j’ai confié la plus grande part

  1. En même temps, M. Abel Lefranc reprend ses démonstrations sur « le Secret de Shakspeare » dans la revue belge, le Flambeau (V. aussi l’interview rapportée dans le n° d’Excelsior du 9 septembre 1922).