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nouvelle : grâce à cette trouvaille, les piliers seront plus élancés, le plein des murailles sera diminué et remplacé par des vitraux, les arcs-boutants changeront l’aspect extérieur de l’édifice, et le décor lui-même subira l’effet de ce renouvellement.

Où fut inventée la croisée d’ogives ? L’Allemagne prétendait autrefois avoir donné au monde l’art gothique que Goethe avait baptisé l’art allemand : il y a longtemps que, même en Allemagne, cette opinion a été combattue et réfutée. Depuis, on a cru reconnaître le premier essai de construction ogivale dans les quatre arceaux du déambulatoire de l’église de Morienval. Maintenant on affirme que l’emploi de la croisée d’ogives a été pour la première fois enseigné aux Normands par des architectes lombards. A quoi M. Gillet répond avec un grand bon sens : « L’invention n’est rien ; ce qui compte, c’est l’usage et le parti qu’on en tire. L’Angleterre qui a eu peut-être des voûtes d’ogives à Durham à la fin du XIe siècle, est revenue dans la suite aux voûtes en plein cintre. La France n’offre pas d’exemple d’une telle régression : elle n’a jamais fait un pas en arrière. C’est elle qui s’est emparée de l’idée et qui l’a faite sienne, qui l’a choisie entre toutes les formules rivales, en a aperçu la souplesse et la simplicité, y a reconnu le principe d’une architecture nouvelle qu’elle devait imposer plus tard à la Normandie elle-même. L’art gothique est donc bien réellement l’art français. » En fait, ce fut Suger qui fit élever à Saint-Denis la première église gothique. C’est sur le domaine royal que s’élevèrent les premières cathédrales bâties selon la formule nouvelle ; c’est en partant de l’Ile de France que l’opus francigenum s’est répandu dans toute l’Europe pour y régner en maître pendant trois siècles et plus.

Peut-être l’Antiquité avait-elle entrevu ce procédé de construction, mais elle n’en fit rien. En l’adoptant, en le prenant pour point de départ de son architecture, la France créait donc un art véritablement original, pur de tout alliage. Mais pour le développer, pour le porter au point de perfection que nous savons, il fallait la raison disciplinée, l’imagination lucide d’une race nourrie de la moelle antique. Sans doute l’ordre gothique n’a rien de commun avec l’ordre des anciens, mais les plus beaux édifices religieux du Moyen-âge sont ceux où il y a le plus de raison, le plus de logique, ceux où l’ordre nouveau a