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simple ne fait plus d’effet ; on force la note : c’est une exaspération continue. On ne se contente pas d’affirmer : on crie. Voilà ce dont il faut tenir compte : ici encore ne prenons pas au tragique tout ce que nous lisons, tout ce que nous entendons ; sachons en rabattre, et transposons, si nous voulons comprendre ce que parler veut dire.

Les plus étonnés, ce sont encore les Italiens qui vivent hors d’Italie ; qui, par leur nombre, leur activité, leur épargne, ne constituent pas une des moindres forces du royaume ; qui aiment leur patrie d’un amour aussi profond, mais différent, avertis qu’ils sont par l’expérience de l’étranger. Ils se rendent compte des périls que présentent ces méthodes insolites, lorsqu’on veut les transporter hors des frontières du pays, et prennent soin d’avertir de temps à autre leurs compatriotes, leur demandant de faire un peu moins la grosse voix. La France connaît mal l’Italie, hélas ! c’est trop certain. Mais pour la lui faire mieux connaître, convient-il de malmener les Français*,de les menacer même ? A vrai dire, ces remontrances n’ont guère de succès. Quand on vit dans une atmosphère d’orage, comment écouter les voix calmes du lointain ?

Le ciel de Rome m’a donné, ce soir, un spectacle grandiose. Alors que j’avais vu la Ville, tant et tant de fois, pour les premières découvertes ou pour les rêveries, d’un des observatoires qui l’environnent, de loin, de près, des monts Albains, de la terras-e de la Villa Médicis, du Janicule, mais toujours d’un point extérieur à elle : je l’ai contemplée aujourd’hui du haut d’une maison amie qui s’élève au milieu de la cité, sur la place de Venise ; de sorte que je me figurais être dans son cœur même. J’étais parmi ses monuments, qui s’étageaient autour de moi, sous moi, comme à la portée de ma main ; je n’avais qu’à me mouvoir pour varier chaque fois le décor ; et pourtant j’étais toujours au centre de Rome. C’était un amas d’architectures grandioses, des forêts de colonnes, des amoncellements de toits, des superpositions de coupoles ; non pas une de ces vues d’avion, où tout apparaît simplifié, schématisé, réduit à des proportions géométriques, mais la multiplicité des détails, la variété des matériaux donnaient à cette ville aérienne l’apparence d’une végétation touffue, vue par ses cimes. Rien non plus de brutal ou de heurté, sauf la blancheur encore crue du monument à Victor-Emmanuel, qui paraissait être mis au premier