Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Correspondance

d’Ernest Renan

et du

Prince Napoléon




Ce fut en juillet 1879, le jour même où l’on apprit à Paris la mort du Prince impérial, que je fus, par la princesse Mathilde, présenté au prince Napoléon. Jusque-là, bien que je l’eusse souvent rencontré, j’avais évité les rapprochements. Il me semblait que ma fidélité m’en faisait un devoir. Ce jour-là, j’eus avec lui, à Saint-Gratien, une conversation qui dura plusieurs heures et où, très franchement, il s’expliqua sur sa politique. Je dis loyalement les objections que me suggérait ma médiocre expérience. Il n’eut point de peine à en triompher.

De ce jour, je marchai à sa suite, dans les voies où il s’était engagé : je fus, durant dix années, son serviteur et son ami. Je me trouvai là avec quelques hommes dont j’appréciais hautement l’intégrité, la loyauté et l’intelligence, qui furent et qui sont demeurés mes amis. Lors de l’aventure boulangiste, il me parut que le Prince faisait fausse route. Je le lui écrivis. Il m’appela à Prangins pour me communiquer certaines promesses qui devaient lever mes objections. Je ne fus point convaincu ; j’assistai avec une profonde tristesse au désagrègement des forces nationales. Quand le flot se retira, il ne restait, de toute l’œuvre ancienne, que quelques pierres éparses et de la boue.

Le Prince partit pour Rome et il y mourut. Dans son testament, daté du 25 novembre 1889, il avait écrit : « Si M. Frédéric Masson, mon cher ami, ou M. A. Philis, veulent écrire mes