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dire qu’à cette étrange époque, où aucun peuple n’est heureux, les amours-propres sont excessifs, et les sensibilités maladives : j’en demeurai volontiers d’accord ; et aussitôt j’avouai que dans notre dure épreuve de près de cinq années, nous étions devenus plus brusques et plus susceptibles à la fois.

— Ah ! me dit-il d’un ton radouci, si seulement la France et l’Italie n’étaient pas si proches ! si nous n’avions pas de frontière commune ! Si un détroit, un tout petit détroit nous séparait, par la permission du Ciel ! comme nos relations seraient plus calmes !

— Ah ! lui dis-je en souriant, comme nous nous entendrions mieux, si notre langue vous était moins familière ! si vous n’étiez pas si attentifs à la moindre phrase du plus insignifiant de nos journaux ! Les choses désobligeantes que disent de vous les Allemands ou les Anglais, vous ne les comprenez guère ; et c’est bien heureux pour vous. Qu’un Français se permette seulement une plaisanterie, un mot, et il est perdu. Les philosophes nous ont déjà enseigné que, pour s’aimer un peu plus, il fallait se connaître un peu moins.

— C’est vrai, dit-il d’un air affable ; je n’y avais pas pensé. Mais écoutez ceci. Vous vous plaignez de ce que nous nous en prenons à la France, toujours à la France : et tout au contraire, vous devriez vous en féliciter. Car enfin, on ne récrimine que contre ceux qui en valent la peine : qu’importent les propos des indifférents ? Même si je le comprenais, un Hottentot ou un Patagon pourrait me dire ce qu’il voudrait sans m’émouvoir. Mais si c’est mon frère ou mon cousin qui me parle mal, je bondis aussitôt. Nous ne vous critiquons que par sympathie. Le jour où nous ne vous ferons plus de reproches, méfiez-vous : ce jour-là vous nous serez devenus étrangers...

Je lui réponds que nous préférerions peut-être une faveur moins exclusive et une sollicitude moins jalouse. Mais il est hors de doute que s’il est un nom qui retentit partout en Italie, depuis les Alpes jusqu’à la mer, souvent pour le blâme, rarement pour l’éloge, toujours présent et vivant, — c’est le nom de France.

Ainsi nous nous retrouvâmes ; et notre accord fut, comme notre discorde, l’histoire de nos deux peuples qui se répétait en nous.