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Alors, notre gaité est devenue mélancolie ; et cette mélancolie encore nous était douce. Mais voici qu’une amertume s’est élevée du fond de nos âmes. Elle ne naissait pas sans raison, cette aigreur qui pour un temps troubla l’accord de notre amitié ; elle traduisait le malentendu qui séparerait pour longtemps nos deux pays, si nous n’y prenions garde. Comme nous sortions de la villa Aldobrandini, nous avions croisé des trappistes allemands, qui de leur couvent descendaient vers Frascati. Mon ami me demanda si nous professions toujours, en France, la même hostilité envers les Allemands, à la vérité excessive ; et si nous ne reviendrions pas bientôt à des sentiments plus humains, nécessaires à la pacification de l’Europe. Je. lui demandai, en échange, s’il ne préférait pas réserver sa pitié aux victimes desdits Allemands, à nos quinze cent mille morts, à nos villes détruites. Là-dessus, piqué, il me répondit que les Français étaient toujours les mêmes, qu’ils ne se lasseraient jamais de faire valoir leurs sacrifices, lesquels étaient grands, à la vérité, mais non pas supérieurs à ceux des autres peuples, à ceux de l’Italie, par exemple. Et ce fut, peu à peu, l’habituel reproche : que l’Italie en avait assez d’être traitée par nous en sœur cadette ; que ce rôle de servante, que nous prétendions lui faire éternellement jouer, la révoltait, à la fin. En vain je lui affirmais qu’une telle attitude était bien loin de notre pensée : il frémissait ; et le point sensible étant touché, il répétait ses propos sur la France vaniteuse, inamicale, hostile. Vexé à mon tour, je déchargeai mon cœur. Je prononçai le vilain mot de jalousie ; je lui dis que cette passion-là pour peu avouable qu’elle fût, expliquerait bien des choses. Je lui dis que notre patience, si peu compatible avec notre caractère et pourtant si manifeste, risquait de s’épuiser, après tant de provocations venues de l’Italie. Que serait-il arrivé, si nous avions retenu seulement le quart, seulement la dixième partie des propos tenus contre nous ? Si nous avions rendu calomnie pour calomnie, insulte pour insulte ? Si nous avions interprété les offenses comme telles ? Si, à des gestes de violence, nous avions répondu par une violence égale ? Mais il ne voulait rien entendre ; et nos propos cherchaient à devenir blessants.

Or, dans le temps même où nous pensions nous aimer moins, notre affection profonde, attentive au danger, travaillait obscurément dans nos âmes. Elle agit sur lui ; elle lui inspira de