Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine. D’où l’irritation ; et comme les images une fois formées dans l’esprit des peuples sont tenaces et obstinées, d’où une injustice qui, au lieu de s’atténuer, s’accroit. Votre politique a bien changé depuis dix-huit mois ; vous avez soutenu l’Italie dans des circonstances délicates et difficiles : des publications officielles ont enregistré votre effort. Auprès de la masse, c’est jusqu’à présent peine perdue. On ne vous sait pas gré de ce que vous faites ; on vous sait mauvais gré de ce que vous ne faites pas...

J’ai tout écouté sans sourciller, suivant ma promesse. Il y a profit, souvent, à s’entretenir avec des hommes sans illusions. Celui-ci n’en a guère. Mais j’aurais préféré, malgré tout, qu’il épargnât un peu les miennes. J’en veux garder au moins quelques-unes, s’il est vrai que ce sont elles qui commandent, à la fin, la réalité.


A FRASCATl

Quel accès de gaîté nous prit hier, dans le vieux petit tramway qui nous conduisait hors de Rome, vers les collines, vers Frascati ? Un compagnon de route m’a rejoint ; mieux qu’un compagnon, un ami. Journaliste en vacances, ce Milanais va visiter la Sicile, qu’il ne connaît pas, et s’arrête à Rome, qu’il ne connaît guère. Il a l’air, lui aussi, d’un étranger en promenade ; il fait un voyage d’exploration, plein de découvertes : chaque découverte excite son humour d’homme du Nord, et ses yeux brillent de plaisir derrière son lorgnon. L’amitié, le soleil, l’excursion, l’air libre, et je ne sais quel démon, nous mirent en tête une gaîté puérile que tous les détails de la route entretenaient, qui gagna nos voisins, et qui nous rendit parfaitement heureux.

Que nous étions bien, à l’auberge où l’on fit durer deux heures notre déjeuner ! Notre optimisme résista même à cette épreuve, tant il était solide. Sans compter qu’il y eut un intermède fourni par l’arrivée de nouveaux riches, qui nous donnèrent la comédie. L’homme invita son chauffeur à s’asseoir à sa table, de façon que nul n’ignorât qu’il avait un chauffeur. La femme fit manger son chien dans son assiette ; elle portait aux oreilles de si gros diamants, qu’il était clair qu’elle avait tous les droits. Mon ami était fort scandalisé, prétendant qu’on n’aurait jamais vu pareil spectacle à Milan : et je l’assurais, pour mon compte, qu’on pouvait le voir tous les jours, en tous pays,