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après tout ce que j’ai moi-même entendu. Je ne le tiendrai pas quitte avant qu’il ne m’ait donné son avis. Il se résigne, et accoudé maintenant sur le parapet du Pincio, devant le ciel qui devient couleur de pourpre et couleur d’or, il reprend le fil de son discours.

— Laissez-moi vous dire d’abord que la France a commis d’insignes maladresses. Il fut un moment où toute l’Italie allait vers vous d’un élan spontané ; ce moment, vous n’avez pas su le saisir ; et Dieu sait quand il reviendra ! Vous avez blessé l’Italie dans ses intérêts, car, une fois la paix signée, vous avez donné au moins l’illusion que vous souteniez contre elle vos anciens ennemis. Vous l’avez blessée dans son orgueil : vous lui avez marchandé sa part de gloire ; vous avez mésestimé son effort, qui a été aussi considérable qu’on pouvait humainement l’espérer ; vous n’avez pas compris l’immense sacrifice que la guerre représentait pour elle. Vous l’avez blessée dans son amour-propre. Qui dira jamais le tort que la « blague, » cet article de Paris, vous a fait dans le monde ? Que vous vous moquiez de vous-mêmes, de votre président, de vos ministres, de vos écrivains, avec une férocité charmante, c’est votre affaire ; mais tenez-vous-en là — n’est-ce point suffisant ? — et n’allez pas aussi vous moquer des autres, qui prennent pour des offenses mortelles ce qui n’est que taquinerie. Il y a des mots, de simples mots, qui vous ont fait plus de tort qu’une défaite. Vous êtes des gens charmants, qui ne gardez pas rancune à ceux que vous avez offensés : ceux-ci ont quelques petites raisons de ne pas oublier aussi vite. Bref, vous n’avez été ni justes, ni habiles ; soyons sincères : vous avez été injustes, et parfaitement maladroits.

« Seulement, les effets ont dépassé les causes. Un vent d’hostilité à la France a passé sur tout le pays, et il a tourné à la tempête. Je comprends qu’il y ait eu amertume : je comprends mal tant de fureur. Tout ce que fait la France est mal fait ; rien n’arrive qui ne soit la faute de la France. Les nouvelles les plus invraisemblables courent d’un bout à l’autre de la Péninsule et trouvent crédit, quand elles vous font du tort. Je ne sais si vous avez prêté attention à l’histoire du cuirassé Vedette : c’est une des plus amusantes que j’aie recueillies au cours de ma carrière. Un beau jour, toute la presse annonce un fait inouï, qui va jusqu’au Conseil des ministres : la France a donné à la Serbie