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votre curiosité se plaît aux nuances, une nuance nouvelle dans ces rapports traditionnels. Même à l’égard de l’Angleterre, les jeunes seront moins respectueux que leurs aînés ; ils se montreront plus indépendants, parce qu’ils se sentent plus forts. Verra-t-on, quelque jour, de l’anglophobie en Italie, je veux dire de l’anglophobie ouverte et déclarée ? Je ne sais ; il faudrait que l’Angleterre y mît beaucoup du sien.

« Les Yougo-Slaves : voisins peu commodes pour l’Italie. J’ai remarqué que ces questions de murs mitoyens tournaient toujours mal.

« La Russie : il n’est peut-être pas de pays en Europe où elle excite plus d’intérêt. Les socialistes, quelque désillusion qu’ils aient éprouvée à son égard, ont toujours une tendance à la considérer comme la Terre Promise : il faut bien qu’ils aient un endroit, n’est-ce pas ? où abriter leur rêve. Les intellectuels étudient sa littérature avec une curiosité passionnée. Pas de mois, j’allais dire pas de semaine, où ne paraisse en librairie quelque traduction d’auteur russe ; les versions françaises, dont on s’était contenté jusqu’ici, ont paru insuffisantes, tronquées, faussées, donnant de l’âme russe une idée inexacte : on veut la voir telle qu’elle est, la connaître dans son intégrité, se débarrasser de tout truchement étranger entre elle et l’Italie. Les industriels espèrent trouver à bon compte sur le marché russe les matières premières qu’ils doivent payer fort cher ailleurs, en même temps qu’ils écouleront là-bas leurs produits manufacturés. Dans cette course d’obstacles que les nations européennes ont engagée vers la Russie, et dont le premier prix doit représenter non seulement des milliards, mais le salut économique, ils s’estiment avantageusement placés, et tiennent à conserver leur avance, comme il est juste. Je me demande seulement s’il ne s’agit pas là d’une course de petits chevaux, où ce ne sont jamais les joueurs, mais toujours le croupier qui gagne, pour finir. »

Là-dessus, mon compagnon feint d’avoir dit tout ce qu’il avait à dire, et ne veut plus se livrer qu’à des considérations esthétiques, pleines d’intérêt sans doute, mais que je n’écoute plus, je l’avoue, qu’avec une attention diminuée. — Et la France ? ne me parlera-t-il pas de la France ? — Il me regarde du coin de l’œil. Je lui jure que je l’écouterai sans broncher, quoi qu’il puisse advenir ; et que d’ailleurs je suis cuirassé,