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anglais reprochent encore à la France les accords d’Angora ; c’est pourtant cette politique qui nous permet, à l’heure actuelle, de sauver la Grande-Bretagne de l’effroyable aléa d’une guerre contre la Turquie à laquelle le traité de Kars mêlerait infailliblement la Russie et le traité de Rapallo vraisemblablement l’Allemagne ! Est-ce cela, est-ce cette nouvelle guerre universelle que l’on veut ? Il y a, pour ainsi dire, une hiérarchie des périls. Certes, nous ne méconnaissons pas que la réinstallation des Turcs en Europe, à Constantinople, dans cette Thrace qu’ils ont perdue deux fois, en 1912 et en 1918, puisse créer un danger pour la sécurité des Balkans et la tranquillité de l’Asie musulmane ; mais le remède est à côté du mal puisqu’en Europe la Turquie est plus aisément vulnérable. L’Angleterre et l’Italie s’associeront à nous pour mettre les Turcs en garde contre leurs propres entraînements ; l’expérience que, grâce à leur énergie militaire, il va leur être donné de tenter une fois encore, est la dernière. S’ils cherchent, par expulsions ou massacres, à éliminer de leur État restauré tout élément non turc, comme quelques-uns en expriment le vœu, ils resteront réduits à leurs seules capacités, radicalement incapables de créer un État civilisé ; ils ont besoin des concours européens, besoin des indigènes de toutes les races de l’Empire. La Turquie nouvelle, tout en gardant son caractère national, sera ouverte à tous ou elle ne sera pas.

La politique à laquelle la France convie l’Angleterre et l’Italie — M. Poincaré vient encore de la préciser dans son discours de Vaucouleurs (8 octobre), — est précisément la même que définit M. Bonar Law, ancien chef du parti unioniste, dans la lettre du 7 octobre au Times par laquelle, rentrant dans la vie publique, il semble poser sa candidature à la prochaine succession de M. Lloyd George : « l’Empire britannique, qui comprend un plus grand nombre de musulmans que n’importe quel État, ne peut pas se montrer hostile ou injuste envers les Turcs. » La France lui rouvre le chemin de cette politique qu’il avait abandonnée. N’en déplaise à M. Bonar Law, on ne peut juger équitablement la situation si l’on refuse de « s’arrêter sur les circonstances qui l’ont amenée. « Nous suivrons volontiers nos alliés en Orient, encore que, depuis 1918, ils s’y soient comportés à notre égard tout autrement qu’en alliés, mais nous les empêcherons de se jeter dans la plus folle des guerres ; c’est le meilleur service que nous puissions leur rendre. La lettre se termine par une sorte de dilemme : l’Angleterre nous abandonnera en face de l’Allemagne si nous ne la soutenons pas en face de la Turquie. M. Bonar Law, dont