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doutent que ce drame saisissant, avant d’être chanté, avait été joué sans musique, quelques années auparavant, par la jeune Duse, et que, sous cette forme, il n’était que le remaniement d’une nouvelle d’une quinzaine de pages, qui a des chances d’être un des joyaux parfaits de la prose italienne. Et, pendant que l’œuvre vulgaire du maître de Livourne continue de charmer les foules, à peine si quelques lettrés se sont aperçu que l’auteur du chef-d’œuvre véritable venait de mourir, — Giovanni Verga s’est éteint le 27 janvier, à Catane, âgé de près de quatre-vingt-deux ans, — sans qu’un écho de journal en France ait salué la tombe du poète de Cavalleria rusticana.

Cette bizarre fortune mériterait déjà d’attirer l’attention. Il arrive que des écrivains ne se survivent que par quelques pages. Bienheureux, ils ne périront pas tout entiers ! Mais il s’agit en réalité d’un homme que l’Italie nouvelle regarde comme un maitre, et n’hésite guère à placer au-dessus de célébrités plus fameuses. Si, vers 1910, une enquête avait demandée à la jeunesse artiste, celle des Borgese, des Papini, des Tozzi, des Pirandello : « Quel est le premier écrivain Italien vivant ? » il y a fort à parier que ces jeunes gens n’auraient pas répondu par le nom de M. d’Annunzio, mais bien par celui de ce vieillard, quasi septuagénaire, et qui depuis longtemps déjà n’écrivait plus. Pour toute cette école, que représentait le groupe de la « vraie Italie, » cet ancêtre, aux trois quarts inconnu du public, faisait figure de classique. Et c’était un problème, souvent agité par cette jeunesse, que la situation étrange de cet auteur, tenu par quelques-uns pour le premier artiste de son temps, et dont la renommée ne parvenait pas à franchir un petit cercle de lecteurs. En France, le cher Edouard Rod, toujours si attentif aux choses d’Italie, était à peu près seul à l’avoir mis tout de suite à son rang : c’est lui, je pense, qui avait adressé à Verga son ami Paul Bourget, à l’époque où celui-ci composait la Terre Promise. Mais Verga était de ceux qui savent attendre et qui peuvent compter sur le temps ; il savait qu’il y a des œuvres qui gagnent en vieillissant, et en effet sa figure n’a fait que grandir après sa mort.

Il y avait plusieurs raisons de cet effarement, et la première est qu’il était en partie volontaire. Verga ne pouvait souffrir aucune espèce de publicité. Ecrire on parler de lui-même lui était insupportable. Il gardait les manières de l’homme bien