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traînent déploient un foulard sur leur figure pour se protéger, et comme le vent l’applique aux yeux caves, aux pommettes osseuses, on croit voit soudain, sous le ciel qui n’est qu’une fumée, une ville fantastique où des esclaves traîneraient des morts.

Le plus souvent, rien ne trouble la fadeur des heures. Étendu dans une chambre, on laisse le soleil régner dehors, et, sans être capable d’aucun travail, on essaie d’user le temps jusqu’au soir. Enfin l’astre a disparu ; quelques petites étoiles s’ouvrent, rouges comme des yeux irrités. Des chauves-souris effumées tournent et plongent autour des maisons. Mais à peine l’absence du tyran a-t-elle apporté un soulagement presque imaginaire qu’une lune énorme et poudreuse apparaît pour le remplacer. La chaleur ne cède pas, le jour continue ; minuit même ne sera qu’un midi plus pâle. Les cigales donnent toujours leurs coups de scie dans l’air embrasé. On voudrait ouvrir on ne sait quelle fenêtre close, briser une vitre dans ce ciel fermé. Le corps fiévreux est aussi incapable de repos que d’activité. Il succombe enfin, et l’on s’endort d’un mauvais sommeil, tandis que dehors le soleil se lève, que les collines lointaines se déploient comme des tentures et que des corbeaux volent à travers l’aurore, en poussant leur cri si dur et si rauque qu’il ressemble à un aboiement.


Les soleils couchants sont à Pékin d’une variété et d’une richesse admirables, parfois profonds et clairs, tels qu’on y sent déjà toute la délicatesse du Nord, le plus souvent, l’été, troubles, funestes, méchants, avec des coulées de violet, de bleu-noir, où l’on croit retrouver toutes les recherches de la céramique chinoise. Aujourd’hui, de la terrasse qui couvre le toit de l’hôtel, je regardais le couchant : les montagnes de l’Ouest appliquaient sur le ciel leur cloison grêle et délicate. Le soleil venait de disparaître derrière elles, mais une vaste haleine, un souffle d’or pur soulevait encore l’espace à l’endroit où il s’était abîmé. Des nuages effilés brillaient de teintes si crues et si irritées qu’il me semblait que les couleurs m’étaient révélées dans leur pureté, et que j’apercevais pour la première fois le violet, le jaune, le vrai rose. Je ne pouvais détacher mes yeux de cette fête presque cruelles ou manquait la douceur des teintes mêlées qu’on voit