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nos amis qui ne voyaient que l’Europe. Que d’heures d’angoisse ! L’affaire d’Egypte était, pour Sorel, un casse-tête dont il ne voyait pas la fin. Il fallait agir, cependant ; le temps pressait. Nous avancions, la sonde à la main ; — et nous construisions, cependant, le canon de 75. Notre empire colonial, malgré ces sombres pronostics, s’est fait à temps ; mais il n’était que temps !


Il en revenait toujours à la politique européenne. C’était son sujet. Quelle devait être notre attitude quand l’heure sonnerait ? Et comment les choses s’arrangeraient-elles après ?

Car, si la guerre venait à éclater, il avait une confiance absolue : tel était son optimisme. Il connaissait le soldat de France, ses vertus, son endurance, sa solidité, étant lui-même grognard jusqu’au fond de l’âme. Je n’ai pas assez dit sa race, à ce Normand. J’y reviens. Son jugement si juste, ce sens pratique et sûr que j’appelais, tout à l’heure, sa judiciaire, cette prudence à la fois naturelle et voulue, fille de ses origines et fille des circonstances, était dominée, entraînée, animée en lui, par un sentiment toujours actif et qui était sa race même, celui de la foi dans la discipline nationale, ce qu’il appelait le tronc de l’arbre. Ce Viking était fort ; il suffisait de le voir. Rien ne devait être permis contre le corps et l’âme de la patrie ; rien ne devait attenter à sa puissance amassée et exercée par les siècles. Si la France était appelée à lutter, elle vaincrait par son unité ! Il ne savait rien de l’internationalisme : mot qui ne lui venait pas sur les lèvres, rêve qui n’effleurait pas sa pensée. Il croyait à la volonté de puissance. Au fond, jacobin tempéré, bonapartiste d’avant Bonaparte, soldat de Valmy et de Jemmapes, luttant pour une France bien constituée, complétée et ramassée sur elle-même, toujours prête à se défendre parce que toujours menacée.

Aucun impérialisme : il savait trop ce que cela nous avait coûté ; son système, vigoureusement défensif, se tenait entre la force et la raison. Comment dirai-je cela en des termes compréhensibles à notre âge exacerbé ? La politique de Sorel était cartésienne ; il admirait et citait avec ferveur la parole qui sert de titre au premier chapitre du Testament politique du cardinal de Richelieu : « Succincte narration de toutes les grandes actions du Roi, jusqu’à la paix faite en l’an..., » et le chiffre en