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plus de huit jours, celle-ci travaillait la Quentin, pour qu’elle lui ménageât une entrevue avec la souveraine.

De son air le plus innocent, la Quentin reprit :

— Foin de mari ! Mais la femme est charmante !.. La marquise est gaie, enjouée, spirituelle, sachant comme personne conter un trait ou une anecdote. Nul doute que son entretien ne divertisse extrêmement Votre Majesté !

— Tu crois ? fit d’un air boudeur la Reine, qui, dans son désir de rompre sa solitude, eût reçu n’importe qui.

Sentant que les préventions de sa maîtresse allaient céder, la Quentin renchérit avec enthousiasme sur l’éloge de l’ambassadrice : c’était une maîtresse femme, qui, sans en avoir l’air, dirigeait son nigaud de mari !… Rien que son mariage avec celui-ci, — avec Pierre de Villars, le bel Orondale, comme on l’appelait autrefois, dans les ruelles, — rien que ce mariage était un chef-d’œuvre de diplomatie…

Et, pour acheter de dérider la Reine, la nourrice lui rappela une vieille histoire qui, à Paris, continuait à courir les salons :

— Votre Majesté, dit-elle, s’en souvient peut-être ? Cette ambassadrice était une Gigault de Bellefonds… Marie Gigault, comme on l’appelait tout simplement. Orpheline, laide, sans dot (ces Bellefonds n’ont jamais eu le sou), elle s’était juré d’épouser le beau Villars, célèbre par ses bonnes fortunes retentissantes, entretenu richement par plusieurs personnes de qualité !… Et le plus fort, c’est que ce laideron y arriva !… Elle fréquentait beaucoup chez deux précieuses fieffées, qui, en ce temps-là, tenaient bureau d’esprit à l’Arsenal et qu’on appelait les Divines. Mme de Choisy, la mère de l’abbé, que votre Majesté connait bien, se trouvant, un jour, en visite, chez ces dames, fut prise d’une envie soudaine. Elle monta, pour la satisfaire, chez l’une des Divines, qui avait sa chambre et sa chaise au premier étage… Et voilà qu’elle tombe sur Villars-Orondale en conversation des plus intimes avec Marie Gigault ! Vous pensez si Mme de Choisy, étant redescendue chez les Divines, se priva de conter l’aventure, qui fit grand bruit, tant et si bien que cette Gigault, se prétendant compromise par Orondale, lui demanda le mariage… Et voilà comment elle est aujourd’hui marquise de Villars et ambassadrice de France ! De sorte que, sans l’envie de Mme de Choisy…