Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Celle-ci se montrait rarement. Elle savait combien ces manifestations déplaisaient aux Espagnols et surtout au Roi. Mais, à l’heure habituelle de ces aubades et de ces sérénades, elle faisait ouvrir la fenêtre de sa chambre, et, dès qu’elle entendait ces musiques et ces chansons de « là-bas » elle ne pouvait retenir ses larmes.

Un soir, ils étaient si nombreux autour de la fontaine, qu’elle distingua les paroles du refrain chanté en chœur par toute une foule. C’était la chanson des mousquetaires du Roi, alors dans toute sa vogue nouveauté.

Auprès de ma brune,
Qu’il fait bon, fait bon,
Auprès de ma brune,
Qu’il fait bon dormir !…

La chanson, il est vrai, disait : « Auprès de ma blonde, » mais par galanterie sans doute pour la Reine, qui était brune, ils avaient un peu changé les paroles !… Malgré sa trivialité, ce refrain soldatesque et gaillard, qu’elle avait souvent entendu fredonner par les pages, à Versailles et à Saint-Cloud, cet air de France émut si profondément la Reine, qu’elle accourut au balcon. La Quentin s’y trouvait déjà, ainsi que les caméristes françaises. Ces filles avaient certainement des galants parmi ces pauvres diables d’Auvergnats et de Languedociens, qui, là-bas, sur le Prado, s’égosillaient à chanter, autant pour elles que pour leur maîtresse. La Reine vit que presque toutes parlaient des doigts… Avec qui ? elle ne pouvait le deviner. Ces hommes étaient beaucoup trop loin du Palais, pour qu’on pût rien discerner de leurs traits ou de leurs gestes.

Cependant, sous le mur d’enceinte du couvent, il y a avait un groupe de gentilshommes masqués, dont l’un pinçait une guitare. La Reine le regarda longuement, avec un air de trouble et d’angoisse. Alors, la Quentin, qui épiait le jeu de sa physionomie, s’approcha d’elle. Désirant rester à Madrid, dans cette cour où elle trouvait son profit, elle s’ingéniait, par tous les moyens, à combattre les nostalgies de sa maîtresse. Comme la Reine regardait toujours le gratteur de guitare, elle lui dit avec un sourire malicieux :

— Madame, n’en doutez pas, c’est lui !

Lui ? … Qui ?…