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plia de la laisser s’entretenir plus longuement avec ses femmes françaises : autrement, disait-elle, elle allait tomber malade, elle mourrait, cela était sûr !..

Le Roi finit par y consentir, de très mauvaise grâce, et, au grand étonnement de la jeune femme, la Camarera mayor ne s’y opposa point.

Elle avait ses raisons pour cela.

Depuis quelque temps, elle s’alarmait fort des visites réitérées de la Reine-mère à sa bru, d’autant plus que celle-là se montrait on ne peut plus aimable et caressante pour celle-ci. L’union des deux Reines, en vue de dominer le Roi, c’était la grande terreur de la duchesse, — ce qu’elle s’était préoccupée d’empêcher, dès que la jeune souveraine fut en son pouvoir.

Comme elle craignait de lui laisser trop deviner son jeu, elle s’avisa de faire dénigrer la Reine-mère et de la rendre odieuse à sa belle-fille, en chargeant de ce soin les femmes françaises, qui avaient la confiance de Sa Majesté. La Quentin, circonvenue par elle, se prêta d’autant mieux à cette combinaison qu’elle-même était jalouse de toute influence qui pût contrebalancer la sienne dans l’esprit de sa maîtresse. Elle savait, en outre, quel personnage important était la Camarera, et, en personne qui a l’usage des Cours et qui prévoit de loin l’avenir, elle estimait prudent de se concilier les bonnes grâces de la terrible duchesse, en lui rendant ce service.

La Camarera témoigna sa satisfaction, en traitant avec plus de tolérance et de douceur les caméristes de la Reine, qui, d’ailleurs, étaient enchantées de leur séjour au Retiro. Comme leur maîtresse, après ce long voyage, où elles avaient enduré de réelles privations, les femmes de chambre s’étaient décarêmées en arrivant au palais. Enfin, elles avaient pu manger à leur faim ! Elles trouvaient même le régime beaucoup plus abondant et succulent qu’elles n’avaient osé l’espérer. Grâce aux fermes du Domaine, aux potagers d’Aranjuez, de l’Escurial et du Palais de Madrid, les cuisines royales regorgeaient de légumes, de fruits, de volailles et de viandes de boucherie. Ces dames, outre un ordinaire des plus plantureux, se régalaient, elle aussi, d’oranges et de chocolat. Et, quand elles étaient souffrantes, la Reine leur faisait porter à l’infirmerie, du poulet et des plats