Elle supportait très bien qu’on lui servit de la viande quatre fois par jour, au scandale de ses femmes espagnoles et du Roi lui-même. Elle se livrait à des orgies d’oranges, de blancs-mangers, de chocolat surtout. Elle déjeunait, mangeait ensuite une collation, dinait, goûtait, soupait, et, quand elle ne pouvait pas dormir, — ce qui arrivait très souvent, — vers une heure, ou deux heures du matin, elle faisait medianoche, toute seule, dans son lit.
C’était doña Manuela de Velasco, sa dame d’honneur, qui lui passait les plats et qui les tâtait, comme toujours, avant elle-même, en y trempant un croûton de pain.
Faute d’une société plus agréable, la Reine finit par se prendre d’affection pour cette grosse fille noiraude, rougeaude et moustachue, qui, en somme, risquait sa vie pour elle, au cas où les mets, qu’elle goûtait si résolument, eussent été empoissonnés. Comme si ce n’était pas assez de l’éclat naturel de son teint, doña Manuela se couvrait de rouge, selon la mode espagnole, — et il n’était jamais, pour ses jupes, de couleurs assez éclatantes. Il lui fallait des soies cramoisies, des velours vermillons, nacarats ou incarnadins. Et ainsi, avec son fard, ses joues luisantes et empourprées, les étoffes voyantes que ballonnait sa courte rotondité, elle flambait comme un piment, elle s’épanouissait comme une tomate présomptueuse, que la baguette d’un enchanteur eût changé en citrouille. Elle-même avait l’air d’une fée maritorne, une de ces fées brouillonnes, qui sont la terreur des cuisinières, qui s’amusent à décrocher les casseroles et les écumoires, qui font tourner les sauces dans les saucières et s’aigrir les confitures dans les placards.
La Reine, qui s’était habituée à la longue à ses manières brusques et à la voix rauque, s’amusait extrêmement de l’extravagance de ses accoutrements. Elle en faisait des gorges chaudes avec ses femmes françaises. Elle l’appelait : « sa Fée Truitonne. » — et, quand la grosse fille la servait, il lui arrivait de lui dire à mi-voix, en clignant de l’œil vers les Françaises qui, par hasard, étaient là :
— Ma Truitonne !…
Un soir, doña Manuela parut dans un tel équipage, tellement barbouillée de rouge, avec une robe d’un satin cerise tellement agressif et flamboyant, que la Reine ne put s’empêcher de rire et de s’exclamer :