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bandé la main, courait vers on ne savait quel but invisible…

Dès qu’elle le vit, la Reine s’éprit de ce charmant objet. Elle lui donna son amitié, comme à un être vivant et cher. Il symbolisait pour elle une foule de sentiments confus, doux et mélancoliques, dont son cœur était toujours blessé.

Ce cadeau de son époux lui fut, pour son arrivée, comme une salutation de bienvenue, qui dissipa tout ce qui lui restait d’inquiétudes et d’humeurs chagrines. Elle était si contente que, le soir même, malgré les admonestations de la Camarera mayor, elle voulut s’habiller à la française. Elle mit une robe de velours couleur de rose broché d’argent, et se fit coiffer en papillotes, sans autre ornement qu’un bandeau dans ses cheveux et un collier de perles sur sa belle gorge nue. Elle se trouvait tellement irrésistible qu’elle ne se lassait pas de se contempler dans un miroir de Murano, pendu au mur, et dont l’ovale était soutenu par les serres d’un aigle héraldique, l’aigle bicéphale d’Autriche aux grandes ailes déployées. Pour se voir de plus près, elle décrocha le miroir, s’approcha de la fenêtre, et penchée sur la glace cristalline et un peu verdâtre, comme sur l’onde d’une fontaine, elle semblait vouloir baiser le reflet de son joli visage. Que souvenir, ou quel pressentiment fit trembler ses mains, lorsqu’elle aperçut son cou fragile, son corps délicat de petite princesse serré entre les griffes de l’oiseau rapace ?… Brusquement, le miroir lui échappa, tomba sur l’épais tapis qui amortit sa chute. Mais, quand les femmes de chambre l’eurent ramassé, elles constatèrent qu’il était fendu par le milieu, d’une longue fente rigide et presque rectiligne.

La Reine en fut consternée. La Camarera l’en réprimanda aigrement, non sans insister, avec intention, sur la signification sinistre d’un tel accident. Briser un miroir, le premier jour, en entrant dans sa chambre, c’était bien débuter vraiment, et cela promettait !…

Cependant la duchesse de Terranova, tout en gourmandant sa jeune maîtresse et en prétendant la régenter comme une petite pensionnaire, ne laissait pas non plus de la flatter et de la ménager, en haie de la Reine-mère, dont les attentions pour sa bru lui inspiraient les craintes les plus vives. Encore une fois, il fallait empêcher à tout prix leur bonne entente, et, d’autre part, exciter la défiance du Roi à l’égard de l’une et de l’autre. La duchesse s’évertuait, selon la maxime célèbre, à