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sentait toujours le couvent, ses salles, ses galeries et ses jardins avaient été ordonnés et décorés avec une frivolité toute mondaine, un luxe et une magnificence extraordinaire, par son fondateur, le comte-duc Olivarès, et son premier occupant, le roi Philippe IV, qui, tous deux, avaient le goût de la galanterie et de la volupté italienne. Il y avait là des tapisseries et des collections de tableaux, comme il n’en existait nulle part au monde, des tapis d’Orient, des tables de marbre et des meubles d’un prix inestimable. Et dans toutes les chambres, ce n’étaient que tentures de velours ou de damas cramoisi, braseros d’argent, lustres et miroirs de Venise…

De sa fenêtre, Marie-Louise aperçut les bosquets et les charmilles des jardins, les allées couvertes, les bassins aux vasques étagées, la grande pièce d’eau, modèle de celle de Versailles, — tout au fond, les volières, les salons de fraîcheur et de conversation, le Colisée, le jeu de pelote, la salle de comédie. Que de plaisirs ces beaux lieux semblaient promettre ! À ce spectacle, toutes les amertumes, les angoisses de son voyage furent oubliées, — tout, jusqu’à la blessure encore vive de son amour malheureux. Avec l’extrême facilité qu’elle avait à écarter de sa pensée ce qui pouvait lui donner du chagrin, — et cette promptitude de la jeunesse à espérer et à croire au bonheur, — elle se persuadait presque qu’elle entrait dans un monde enchanté.

Une chose la ravit tout de suite, lorsqu’elle entra dans sa chambre : un cabinet d’ébène, présent du Roi, qui avait été commandé à un artiste napolitain par le vice-roi de Palerme. Cela représentait une manière de temple avec les colonnes d’agate à chapiteaux dorés, des miniatures sur émail enchâssés tout le long de la corniche, une infinité de tiroirs et de petites armoires aux volets peints, à l’intérieur, d’exquises figures mythologiques. Au centre, une abside octogonale, à colonnade de cristal de roche, supportait un balcon orné de petits pots de fleurs en or. Ces architectures de poupée se déployaient autour d’un jet d’eau, encadré de statues, — et toutes ces minuscules merveilles se reflétaient dans des glaces, disposées entre les colonnes, où, par un jeu ingénieux de la perspective, on voyait fuir à l’infini les allées d’un jardin de rêve. En haut, dans la niche de l’abside, sur un fond de paysage idyllique, se détachait la nudité de l’Amour adolescent, un Amour déjà grand et fort comme un homme, qui, d’un élan éperdu, son arc