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de plaisance était une oasis dans un désert pierreux, à l’aspect revêche et désolé. Séparé de la ville uniquement par le Prado, — le Prado déjà planté d’arbres et transformé en promenade, mais qui n’était que le lit profondément raviné d’un torrent, — un torrent toujours capable de déborder, en hiver, et de causer de terribles inondations, — le domaine royal de Retiro, quoique bâti en face de la rue d’Alcala, pouvait passer pour un lieu de retraite et de solitude. En somme, il n’était que l’annexe du couvent des Hiéronymites, dont l’église et les bâtiments plus anciens touchaient à ses murailles. Le palais semblait une excroissance du monastère. Et lui-même avait un aspect conventuel, un extérieur austère, qui glaçait dès le premier abord. Ses dépendances enfin étaient peuplées d’ermitages, dont les clochetons pointus dépassaient les charmilles des jardins, ou les clôtures en pierres sèches des potagers.

La petite Reine fut un peu effrayée à la vue de ces lourds carrés de maçonnerie, aux formes géométriques, aux grandes surfaces nues, sans autres ornement que les rangées régulières des fenêtres. Quatre tours, également carrées, marquaient les quatre angles du principal corps de logis entièrement couvert en ardoise. Les charpentes qui surmontaient les tours étaient pareillement habillées d’ardoise : c’étaient des clochers de physionomie si particulière, qu’on rencontre dans tout Madrid et dans toute l’Espagne, voire dans tous les pays de domination espagnole, en Lorraine, en Franche-Comté, en Flandre, et qui se composent essentiellement d’une carapace écailleuse en manière de jupe ou de basquine, ronde ou à quadruple arête, laquelle soutient une lanterne, qui supporte elle-même une longue flèche, terminée enfin par une boule et une croix en fer forgé et quelques doré.

Ces croix, ces clochers, ces ardoises grises, ces portails massifs s’ouvrant sur des cours de cloître plantées de buis et de fusains, — tout cela avait un air funèbre, qui surprit péniblement la jeune souveraine, lorsqu’elle pénétra dans son palais. Ce n’est pas ainsi qu’elle s’imaginait un château, une maison de campagne. En passant devant les guichets et sous les voûtes du grand portail, elle crut qu’elle entrait au couvent.

Et puis cette impression triste se dissipa bien vite, tant elle avait hâte d’être chez elle. L’intérieur du palais lui fut une autre surprise, celle-ci des plus agréables. Si, au dehors, le Retiro