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coquille de son épée. Elle lui dit, d’un ton sarcastique, en montrant le ruban :

— Ah ! c’est une couleur fort à la mode à la Cour de France ! Sa Majesté la Reine, lorsqu’elle n’était que Mademoiselle d’Orléans, donnait, parait-il, à tous ses amis des rubans de ce genre…

Le Roi, quoiqu’il eût l’esprit très lent, ne laissa point d’entrevoir ce qui était sous-entendu dans ces paroles fielleuses. Il bouda la Reine durant tout le repas. Le lendemain, à force de caresses, elle l’avait reconquis. Comme elle se doutait de quelque chose, elle voulut savoir ce qui avait motivé la mauvaise humeur de ce mari si passionné : il finit par le lui avouer, en répétant les propos de la Camarera… Elle haussa les épaules et lui ferma la bouche d’un baiser. Cette fois, elle en était quitte pour la peur. Mais cette première alerte lui donna beaucoup à réfléchir…

Ces menus incidents, avec les fêtes, les festins, les réceptions d’apparat, variaient un peu la monotonie du voyage. Les routes étaient si mauvaises qu’ils mirent plus de huit jours pour aller de Burgos à Madrid.

A Torrejon, à quelques lieues de la capitale, ils se rencontrèrent avec la Reine-mère qui était venue au-devant de sa bru. Déjà prévenue contre elle par la duchesse de Terranova et par ses filles d’honneur, que celle-ci avait enrôlées dans sa cabale, la jeune Reine s’épouvanta à la vue de cette belle-mère qui avait l’air d’une supérieure de couvent. La veuve de Philippe IV portait une robe tout unie, serre à la taille par une cordelière, un voile, un frontal et une quimpe comme une religieuse. A force d’avoir pleuré, elle avait les yeux rouges, le bout du nez enflé, et, sur sa molle figure aux joues pendantes, une expression morose et dédaigneuse, qui semblait écarter non seulement toute tendresse, mais toute familiarité.

A la grande surprise de sa bru, la Reine-mère fut charmante. L’altière Marie-Anne d’Autriche embrassa avec effusion cette jeune Française, et, comme la pauvrette était transie de froid dans ce carrosse de cuir ouvert à tous les vents, — avec un joli geste d’affection maternelle, elle lui tendit son propre manchon qui était garni d’un grand nœud de diamants. En échange, elle ne voulut de sa belle-fille qu’un ruban rose, qu’elle lui prit dans les cheveux. Puis, comme si elle ne pouvait payer un tel butin, elle détacha de son poignet un magnifique bracelet, d’un