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donner, même à ses costumes espagnols, si pesants et si empesés. Quand ils étaient seuls, dans le grand carrosse de cuir, le Roi lui disait, en l’embrassant :

— Ma Reine, vous êtres la perfection du monde entier !…

Et il fallait que son admiration et sa ferveur fussent grandes pour lui inspirer une phrase pareille, la plus longue en ce genre, et, si l’on ose dire, la plus lyrique qu’il ait jamais prononcée de sa vie.

Mais ce garçon apathique, sans culture ni politesse, ne pouvait se maintenir longtemps à un tel diapason. Pour charmer la longueur du tête-à-tête, il réclamait des cartes. Les deux époux se disputaient pendant des heures un enjeu d’une pistole. Ou bien, ils faisaient monter à côté d’eux les deux nains flamands, qui savaient le français et qui leur servaient d’interprètes. Ces deux avortons divertissaient le couple par leurs facéties un peu grosse, ou, — ce qui arrivait le plupart du temps, — ils soutenaient à eux seuls toute la conversation, en vérité fort difficile entre des personnes qui ne parlent point la même langue.

La Camarera, toujours au aguets, ne laissait point de remarquer la passion grandissante du Roi pour sa femme. Elle s’effrayait à la pensée qu’elle pût prendre un ascendant quelconque sur lui. C’est pourquoi, chaque fois qu’elle l’entretenait en particulier, elle ne manquait point de lui glisser des insinuations perfides contre la jeune Reine. Tous les soirs, elle lui faisait un rapport très minutieux et toujours malveillant sur la conduite de l’imprudente princesse et aussi sur les déportements et les moindres propos de ses servantes françaises, contre lesquelles elle s’employait de son mieux à attiser la haine de Charles d’Autriche, ennemi furieux de la France et de tout ce qui en venait. Elle retournait contre sa maîtresse les confidences qu’elle avait su lui dérober, les paroles inconsidérées qui échappaient à cette folle enfant. Et elle tirait également un merveilleux et odieux parti de toutes les particularités qu’elle avait pu apprendre sur l’enfance et la jeunesse de la Reine par les indiscrétions de Mlle de Grancey ou de la maréchale de Clérembault, bavardes redoutables. Tout devenait poison entre ses mains.

Un soir, à Guadalajara, comme le Roi s’était habillé en grand costume pour un festin offert par le duc de l’Infantado, elle remarqua le ruban couleur de feu qu’il avait noué à la