Vêtue à l’espagnole, montée sur un très beau cheval andalou, elle fit dans l’antique capitale de la monarchie une entrée des plus pompeuses et des plus magnifiques. Le Roi y assista dans le palais du duc de Velasco, la célèbre Cas del Cordon, — dissimulé derrière le grillage doré d’un mirador. Lorsque la Reine passa, la jalousie fut levée de deux doigts, et le jeune monarque, s’inclinant devant elle, porta son mouchoir à son front, à ses yeux et à son cœur, salutation que l’on considérait alors comme du dernier galant et qui était un héritage des Maures, lesquels l’avaient reçue des Romains.
Après cela, ce furent des cavalcades, des courses de taureaux, des comédies, des dîners sans fin. Au milieu de toutes ces réjouissances, la peur que son intrigue avec Cardénio fût découverte ne hantait plus la Reine. Elle avait, pourtant, un autre motif d’inquiétude qui l’assombrissait. Pendant le voyage, depuis Fontainebleau jusqu’à Vittoria, l’imprudente avait fait des dettes de jeu. Quand on s’ennuyait trop en carrosse, pendant les longues étapes monotones et surtout le soir, en arrivant dans des bourgades désolées, quelqu’un tirait un paquet de cartes, et, souvent jusqu’à l’aube, on taillait des lansquenets enragés. C’est ainsi que la Reine avait perdu mille pistoles contre le prince et la princesse d’Harcourt, sans parler des autres personnes attachées à leur suite. Comme elle n’avait pas d’argent, elle évitait d’en parler. Elle finit même par se persuader que ses partenaires oublieraient de lui réclamer sa dette, ou qu’ils n’oseraient pas. Mais la princesse d’Harcourt, qui était une brelandière frénétique et, en toutes choses, une terrible femme, cette princesse frémissait déjà à la pensée que les Espagnols, toujours très gênés, ne rembourseraient point, à son mari et à elle, leurs frais de voyage. C’est pourquoi, en une allusion trop claire, elle manifesta à la Reine le vif désir qu’ils avaient tous deux de toucher les pistoles gagnées. Celle-ci, après bien des hésitations, se décida à confier au roi son embarras. La figure du monarque se rembrunit. Il ne dit rien. Néanmoins, le soir même, il fit tenir au prince et à la princesse d’Harcourt une bourse qui contenait les mille pistoles.
Le même soir, sans doute piqué d’honneur par les réclamations de ces Français, il chargea son majordome, le duc de Frias, de remettre au Prince et à la Princesse à chacun une boîte avec son portrait entouré de diamants, — d’une valeur,