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et, moins par tendresse que pour se faire pardonner toute sorte de choses dont elle eut subitement conscience, — elle se jeta au cou du Roi, qui désarmé par cette caresse, se mit à rire, lui aussi, assez niaisement…

La suite de cette rencontre, qui intéressait deux grandes nations, fut ce qu’elle devait être, la Reine ayant apporté à l’accomplissement de ses devoirs toute la bonne volonté exigée d’elle, et le Roi, toute la passion dont il était capable.

À partir de cette nuit-là, l’amie très faible et très légère de Cardénio n’eut plus envie de mourir.

Les plaisirs et des cérémonies du lendemain achevèrent de l’étourdir. Pour lui permettre de faire une entrée solennelle à Burgos, on l’envoya, sitôt après son lever, dans un fameux couvent des environs, à Santa Maria la Real de la Huelgas, — monastère de bénédictines où n’étaient admises que les filles des plus grandes familles du royaume. Sa Majesté, ayant reçu les hommages des religieuses, dînerait au couvent.

On lui servit un dîner excellent qui acheva de la réconforter et qui lui apparut d’abord comme le commencement d’une existence nouvelle, pleine de félicités, égayée des perspectives les plus consolantes. Par une attention aimable, la préparation des mets avait été confiée à une sœur française qui remplissait les fonctions de cuisinière et qui reçut l’ordre de ne confectionner que des plats français. La sœur tint à se distinguer en cette occasion solennelle, et elle y mit tout son art, tout son naïf amour pour la fille de ses Rois. Ce fut admirable : il y eut, entre autres choses succulentes et merveilleuses, une tourte à l’anguille, dont la Reine reprit trois fois, et, après un défilé de volailles de toute sorte, des blancs-mangers à la confiture de framboise, des frangipanes, des nougats, des massepains, et même, — ô surprise ! — des pets-de-nonne !… La Reine, tout à la joie de se décarêmer, se régala si bien de ces lourdes pâtisseries, qu’on redouta pour elle une indigestion.

Heureusement, il n’en fut rien. À trois heures, elle quitta toutes ces délices pour monter à cheval. À la voir sauter en selle si lestement, on ne se serait pas douté qu’elle sortait de table, à l’instant même.