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l’Allemagne le moratorium qu’elle demande. De ce manque d’équilibre la note Balfour reste boiteuse, comme la politique anglaise reste ambiguë. Nous savons d’ailleurs qu’une partie des ministres du roi George, notamment sir Robert Horne, étaient d’avis que l’Angleterre renonçât sans conditions à ses créances sur ses alliés et aux 22 pour 100 des réparations. À l’Amérique, ils voulaient donner un exemple, non une leçon. L’avis contraire prévalut. Le danger que crée la note Balfour n’a pas échappé au Times : « Nous avons peut-être poussé la France à se montrer rigoureuse envers l’Allemagne et en même temps encouragé l’Allemagne à résister. » On voudrait, à Londres, inciter la France à une action isolée à l’égard de l’Allemagne que l’on n’agirait pas autrement ; aussi la note Balfour a-t-elle été le signal d’une nouvelle chute du mark qui a perdu la moitié de sa valeur, tombant de 2 centimes et demi à 1 centime et demi.

Si l’on cherche les mobiles raisonnables qui ont pu décider, en ce moment, le cabinet de Londres à rédiger une telle note, on est amené à se demander s’il n’a pas espéré faire pression sur le Gouvernement des États-Unis pour l’amener à entrer lui-même dans la voie d’un règlement général des dettes interalliées. Le président Harding se trouverait ainsi placé en face de ses responsabilités ; l’Angleterre aurait voulu lui faire entendre que, s’il se montre intransigeant, il sera le véritable auteur des mesures qui devront être prises pour obliger l’Allemagne à payer les réparations puisque lui seul est en mesure de réaliser un allégement considérable des dettes de l’Allemagne par l’annulation des créances interalliées. Si telle a été l’intention de lord Balfour, il faut avouer qu’il n’a pas réussi ; lui qui, à Washington, a su si adroitement manœuvrer l’opinion américaine a, cette fois, oublié que les Yankees sont secrètement flattés d’être les créanciers des Anglais et de les tenir par là en quelque mesure, à leur merci. Le Congrès reste fermement décidé à ne pas abandonner les créances des États-Unis ; le sénateur Mac Cumber, président de la Commission des finances, déclarait au correspondant du Herald : « La Grande-Bretagne, au contraire de ses débiteurs, est entièrement solvable. Elle offre d’annuler ses créances sur des débiteurs qui sont à la veille de la banqueroute et dont elle ne peut rien obtenir. De notre côté, nous pouvons obtenir de l’argent de la Grande-Bretagne ; nous n’annulerons jamais la dette. Une telle mesure ne serait jamais approuvée par le Sénat ni par le public américain. » L’homme de la rue, aux États-Unis, se plaint que les Anglais aient, pendant la guerre, réalisé d’énormes bénéfices par la hausse fantastique