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Quoi qu’il en puisse être de ces souvenirs heureusement périmés, — chacun sait qu’aujourd’hui il n’y a plus jamais d’entraves aux initiatives et aux découvertes, — Leverrier avait un caractère autoritaire et sa gestion un peu tyrannique de l’Observatoire lui valut de nouveaux ennemis. Soyons-lui indulgents : il avait du génie, ce qui est une circonstance atténuante malheureusement rare.

Il arriva que, de fil en aiguille, le ministre de l’Instruction publique de l’époque, votre illustre prédécesseur Duruy, invita l’Académie des Sciences, le 17 avril 1868, à examiner :

« 1o Si l’Observatoire impérial peut rester où il se trouve sans détriment pour les observations astronomiques ; 2o si dans l’intérêt de la science il vaudrait mieux le transporter hors de la capitale… » Après une enquête publique et large, après une très longue discussion qui dura de nombreuses séances[1], l’Académie des Sciences, conformément à l’avis de Leverrier, à l’unanimité des 53 votes exprimés contre un bulletin blanc, adopta la résolution suivante : « Il importe que l’Observatoire de Paris soit conservé sans aucun amoindrissement. »

L’Académie demandait en outre « qu’un autre observatoire de premier ordre fût fondé en dehors et à proximité de Paris. » On sait comment ce vœu a été réalisé peu après par la création de l’observatoire de Meudon, qui sous l’éminente direction d’un astrophysicien célèbre, M. Deslandres, contribue hautement aujourd’hui par ses travaux au renom astronomique de la France.

On n’a pas oublié d’ailleurs comment les menées des ennemis de Leverrier, — les lions ont toujours dans leur crinière quelques bestioles qui les irritent, — amenèrent celui-ci, qui avait le malheur d’être sénateur en même temps que fonctionnaire, à interpeller le ministre sur son propre cas. Le résultat de l’interpellation fut… la révocation de Leverrier.

On n’a pas oublié non plus comment cette offense à la science et au génie fut réparée par la République qui rendit en 1872 la direction de l’Observatoire au grand Leverrier.

En 1884, l’amiral Mouchez, étant directeur de l’Observatoire, souleva de nouveau la question du transfert dans un rapport qui fut soumis à l’Académie des Sciences. Celle-ci, après une nouvelle discussion approfondie, se prononça pour le statu quo. (On verra tout à l’heure pourquoi je souligne cela.)

  1. Cette discussion remplit un grand nombre de brochures qui ont été publiées à l’institut et qui devaient former la seconde partie du tome LXVIII des Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences (1er semestre 1869).