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LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES

LES MÉMOIRES
DE LA COMTESSE TOLSTOÏ [1]

On n’a pas oublié l’impression produite en Europe par la fuite et la mort du comte Tolstoï. Pendant une longue semaine de novembre 1910, tout fut suspendu aux nouvelles de la petite gare d’Astapovo. Bientôt quelques lueurs éclairèrent les dessous de cette dramatique affaire. Témoins, enfants, amis déposèrent tour à tour, et la publication des œuvres posthumes du maître apporta au procès des pièces décisives.

Car il s’agissait bien d’un procès, où il y avait une prévenue : oui ou non, la comtesse Tolstoï était-elle coupable d’avoir rendu la vie intenable à son mari et d’avoir été un obstacle à ce qu’il y avait de plus généreux en lui ? Etait-elle coupable de n’avoir pas compris le grand homme auquel le sort l’avait unie, et d’avoir hésité à se sacrifier tout entière au génie ? Est-il vrai que l’apôtre, dont la voix bouleversait le monde, n’avait rencontré dans sa maison que mauvaise volonté, et obtenu que des reproches de celle qui lui avait engagé sa foi et son amour ? Tel était le débat qui était désormais ouvert : car on n’attendait pas, pour agiter ces secrets, la mort des personnages, puisque la comtesse Tolstoï était encore vivante (elle survécut neuf ans à son mari) et que chacun se croyait le droit de lui fouiller le cœur.

  1. The Autobiography of Countess Sophie Tolstoï, translated by S. S. Koteliansky and Léonard Woolf, préface de Vasilii Spiridonov. 1 vol. petit in-8, The Hugarth Press, Richmond, 1922.