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Si j’ai cité si longuement les lettres concernant les débuts politiques de Victor Cherbuliez dans le journalisme, c’est pour montrer les deux faces de son talent, celle du romancier, et celle de Valbert. Les articles que Cherbuliez signa ainsi demeurent une source inépuisable d’enseignement et de divertissement : portraits d’hommes d’État, questions religieuses ou judiciaires, chemins de fer, études sur l’Abyssinie ou sur les Turcophobes, réformes russes, émancipation des femmes, missionnaires de Madagascar, Robinson Crusoé, Question romaine, Valbert aborda les sujets les plus variés et d’une manière si vivante et si personnelle, que la lecture de ces études garde actuellement encore toute sa saveur.

Voici la lettre que le directeur de la Revue écrivit à son collaborateur la veille de la funeste année 1870 :


Paris, le 31 décembre 1869.

« Mon cher ami,

« Je suis harassé ; voilà huit jours que je travaille dix-huit et vingt heures sur vingt-quatre, sans aucune exagération. Mes quinze derniers jours de 1869 ont été les journées des impotents, et il a fallu travailler presque toutes les nuits pour corriger et revoir les épreuves, sans oublier celles de votre glorieux compatriote[1]. Plaignez-moi, à mon âge, et excusez mes vivacités. Comment veut-on que je ne regrette pas mon pauvre Ronjoux, où du moins ne me poursuit pas autant de mauvais style ?

« Dans ce numéro, j’ai mis un petit article assez curieux sur l’Armée Prussienne en 1870, venant d’un diplomate de nos Affaires étrangères ; mais quel style j’avais à pénétrer et à redresser ! Cela me rappelait combien, pendant la guerre de Crimée, les dépêches de M. Nutchef, signées Nesselrode, étaient supérieures aux nôtres ! Faut-il aller en Prusse, en Russie et à Genève, pour avoir du meilleur français ? Aussi je vous demande de m’envoyer ces jours-ci votre troisième partie afin que je ne me trouve plus dans l’affreux labyrinthe d’où je sors.

« Tout à vous, et bon 1870…[2]. »

Bon 1870 ! — comme ces mots sonnent singulièrement pour nous, qui avons entendu tant de récits de cette année terrible !

  1. Marc Monnier sans doute.
  2. 1er janvier 1870. Sans signature.