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mes articles la Prusse et l’Allemagne : je peindrais la Prusse, son gouvernement, sa dynastie, la constitution du Nordbund ; je tâcherais de définir l’idée et l’esprit prussiens dans leur opposition avec l’esprit allemand et l’idée allemande ; j’accentuerais fortement l’antithèse que forme Berlin avec Stuttgart et Munich… quelles chances a la situation actuelle de durer, et quel dénouement on peut prévoir aux difficultés et aux embarras de la nouvelle Allemagne. Il me semble que, renfermé dans ces limites, mon sujet est encore bien vaste ; bien entendu, je tâcherai de l’égayer par des portraits, des anecdotes, etc.[1]. »

Voici donc Victor Cherbuliez au travail ; le 28 novembre, il annonce l’envoi du second article pour le 1er décembre (le premier a paru le 15) ; il se propose de retrouver François Buloz quelques jours en Savoie : « Vin de Ronjoux ou vin de Bourgogne, j’irai très volontiers corriger mes épreuves à Ronjoux. » C’était son habitude et son divertissement, la tâche accomplie : Genève est à 100 kilomètres de Ronjoux. Madame Gabriel Lippmann, alors « la petite Laurence, » me rappelle un mot de François Buloz à son rédacteur lorsque celui-ci justement se trouvait en villégiature à Ronjoux. Victor Cherbuliez publiait un roman dans la Revue, — je ne sais lequel ; — on était à table, on passa un plat de champignons cueillis le matin même par les invités dans les bois environnants. Le plat avait bon aspect et semblait à point. François Buloz le suivait pourtant d’un œil soupçonneux. Lorsqu’il fut présenté à Cherbuliez et que celui-ci commença de se servir, François Buloz, d’un geste, l’arrêta : « Pas vous, Cherbuliez ! pas vous ! vous n’avez pas encore terminé votre roman ! »

L’article de Victor Cherbuliez, qui parut en décembre 1869, fit beaucoup de bruit chez nos voisins les Prussiens, et « excita des rires à Berlin. » L’auteur l’apprit par un Allemand qui en arrivait :


11 décembre 1869.

« Les nombreuses correspondances officielles que le ministère des Affaires étrangères expédie à la presse allemande, l’ont attaqué avec violence. La Gazette de Cologne, organe des nationaux libéraux, l’attaque à son tour dans un premier Cologne du 8 décembre, intitulé : La Revue des Deux Mondes sur

  1. Inédite.