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commencement, j’espère emporter d’Allemagne de bons et d’intéressants matériaux pour mon travail. J’ai vu nombre d’hommes marquants, la plupart des coryphées du parti libéral, si tant est qu’on puisse parler ici d’un parti libéral. Il n’y a point de parti sans programme, et en fait de programme, les libéraux prussiens n’ont guère que des convoitises, des appétits et de vagues espérances, découragées par les événements. Soit dit entre nous, ils me font l’effet d’un essaim de hannetons, bien entendu, des hannetons instruits, intelligents, et quelques-uns spirituels ; lesquels ne se lassent pas de cogner contre la vitre, bien qu’ils sachent par expérience que les vitres résistent. Mais il faut faire son métier. C’est le leur.

« Un conseiller de légation qui est le bras gauche de M. de Bismarck, s’est appliqué à me démontrer l’autre jour que les conditions sociales, économiques et politiques de la Prusse y rendent le parlementarisme impossible. Je crains qu’il n’y ait une forte dose de vérité dans son raisonnement. Mais je suis persuadé aussi que l’unité allemande ne se peut faire que par la liberté. Quant à l’accomplir de vive force, on n’oserait le tenter que si les difficultés intérieures de la France et de l’Autriche aboutissaient dans ces deux pays à un chaos qui les réduirait à l’impuissance. L’ambassadeur des États-Unis, M. Bancroft, m’exprimait l’autre jour sa conviction que, dans les circonstances actuelles, Bismarck ne fera pas un pas en avant : le roi paraît être pour le moment dans les mêmes dispositions ; puissent-elles durer ! car le roi a bien plus d’initiative et de self-government qu’on ne le croit généralement en France. Il faut se défier de ces bonhomies allemandes doublées de finesses, qui s’entendent à merveille à s’exploiter elles-mêmes. Le fait est que tout le monde ici considère l’état actuel des choses comme un provisoire, qui ne saurait durer, et que cependant, on a grand peur qu’il ne dure. On est beaucoup plus loin de l’unité qu’il y a un an ; on n’a pas osé souffler mot de la question nationale dans le Parlement dernier, de peur d’y soulever des tempêtes. Ajoutez que la situation intérieure de la Prusse, ses embarras financiers, l’inévitable accroissement des impôts, les étrangetés antilibérales de la constitution de la confédération du Nord, tout cela favorise la réaction particulariste. C’est à ce point qu’un homme politique très sérieux me disait l’autre jour dans le trou de l’oreille qu’il ne serait pas étonné que le dualisme fût la solution